Turbulences dans la matière solide

Interférences © Laboratoire d’optoélectronique quantique, EPFL

Interférences © Laboratoire d’optoélectronique quantique, EPFL

Placé dans le courant d’une rivière, un obstacle crée des tourbillons dans son sillage. Nouveauté inattendue, une équipe de l’EPFL a mis en évidence un phénomène comparable à l’échelle microscopique dans un semi-conducteur. Cette étude permet des mesures encore inaccessibles il y a peu..

Des tourbillons à l’état solide, voilà une étrange association, pourtant réalisée dans les fluides quantiques. A petite échelle, la matière solide peut se comporter comme un liquide. Elle s’écoule avec des remous si le courant est rapide et qu’il rencontre un obstacle. Pour la première fois, les chercheurs ont reproduit ce phénomène dans un semi-conducteur, un matériau largement utilisé dans l’industrie. Grâce à ce dispositif, Gaël Nardin et ses collègues du Laboratoire d’optoélectronique quantique ont pu réaliser des mesures inédites. Ils publient leurs résultats dans « Nature Physics. »

« Avec cette expérience, nous avons créé pour la première fois des vortex dans un flux contrôlé. Nous pouvons mesurer les paramètres qui contrôlent la naissance de ces tourbillons. C’est une réelle plus-value par rapport à de précédentes expériences où les vortex apparaissent spontanément, ressemblant à ceux que l’on crée en ôtant le bouchon d’une baignoire pleine, explique Gaël Nardin. »

Les scientifiques ont utilisé des polaritons. Ces objets microscopiques – entre matière et lumière– vivent quelques picosecondes, soit 0.000000000001 seconde, à quelques degrés au-dessus du zéro absolu. Les physiciens les ont injectés grâce à un laser dans le semi-conducteur, pour qu’ils s’y écoulent. Ils ont pu prendre des images de la création des vortex, et confirmer les prédictions en mesurant le seuil de la vitesse au-dessus de laquelle les turbulences apparaissent. La phase des polaritons – une de leurs propriétés quantiques – a aussi été mesurée pour la première fois dans ce type d’expérience, permettant de voir leur écoulement, à la façon des vagues sur l’eau.

Une physique plus intuitive

La physique à petite échelle est habituellement insaisissable par notre expérience macroscopique. Mais les fluides quantiques peuvent tout de même être abordés d’une manière intuitive grâce à nos connaissances sur l’écoulement des liquides. Comme un pilier de pont dans le courant d’une rivière, l’obstacle dans le semi-conducteur crée des remous dans son sillage avec une "vague" devant lui et un "creux" derrière. Ces analogies sont une chance. A court terme, le but est de produire des tourbillons en série pour confirmer les intuitions qu’ont les chercheurs grâce à l’hydrodynamique.

L’étude des fluides quantiques dans des semi-conducteurs ouvre un nouveau champ de recherche fondamentale, notamment dans le cadre du National Centre of Competence in Research (NCCR) Quantum Photonics. Pour ceux qui rêvent d’ordinateur quantique, de nouvelles applications pourront être prospectées. Certains imaginent déjà des circuits polaritoniques. « Nous créons, étudions et manipulons des flux cohérents faits de lumière et de matière. Pour l’instant, c’est surtout une curiosité, tout comme le laser lors de sa découverte, mais qui sait ce que nous réserve le futur ? »

Liens :

http://www.nature.com/nphys/journal/vaop/ncurrent/full/nphys1959.html
http://loeq.epfl.ch/
http://nccr-qp.epfl.ch/


Auteur: Nicolas Guérin

Source: EPFL