«Tous les réseaux ne sont pas égaux face à la crise»

Matthias FInger. © EPFL / Alain Herzog

Matthias FInger. © EPFL / Alain Herzog

Professeur à l’EPFL, spécialiste des industries de réseaux, Matthias Finger ne redoute pas de grandes difficultés pour l’approvisionnement en eau et en électricité de la population, même en cas de confinement. La question de l’accès à internet est plus délicate.

Mediacom: Est-ce que la Suisse risque un black-out en raison du confinement ?

Matthias Finger : Je ne le pense pas. Tout d’abord, avec le confinement, la consommation d’électricité a baissé et les réseaux ne sont donc pas surchargés. En plus, ces réseaux font l’objet d’une surveillance par le régulateur qui veille à ce que ces réseaux soient suffisamment dimensionnés et que les investissements correspondants soient faits, notamment par Swissgrid, l’opérateur du réseau de haute tension en Suisse..

En est-il de même pour les réseaux de transports et d’approvisionnement en eau ?

La même logique est en effet appliquée au réseau ferroviaire des CFF. Les investissements dans le développement de ce réseau sont massifs et ont été pris en charge par la Confédération. Pour ce qui est de l’entretien des infrastructures des CFF nous avons cependant connu des problèmes ces dernières années, conduisant à un certain rattrapage des travaux de maintenance, ce qui est à un son tour dû non seulement à des manquements du management, mais aussi et peut-être surtout à une régulation lacunaire. Une appréciation de l’état des réseaux d’eau est beaucoup plus difficile, car ces réseaux sont souvent vieux et gérés indépendemment les uns des autres par les communes et les villes. Aussi, il manque une vision d’ensemble et surtout il manque un régulateur national pour les surveiller. On n’est donc pas à l’abri de surprises.

L’activité économique se reporte massivement sur la transmission de données, notamment en raison du télétravail. Est-ce que les réseaux des télécommunications pourront-ils tenir le coup ?

Il s’agit là en effet d’un cas particulier d’industrie de réseau, car dans le cas des télécommunications on a fait, beaucoup plus que dans les autres secteurs, confiance aux lois du marché, argumentant que l’industrie des télécommunications était dynamique et innovante et n’avait pas besoin d’investissements publics Aussi, au moment où on a voulu commencer à réguler la téléphonie fixe (le monopole) dans les années 1990 est arrivé la téléphonie mobile si bien que les opérateurs de téléphonie fixe – et qui assurent aujourd’hui encore l’ossature de l’internet -- ont dit que la concurrence suffisait pour réguler le marché. Du coup, les régulateurs ne surveillent généralement pas les investissements et la maintenance des réseaux de télécommunications. Donc, personne ne peut vraiment répondre à votre question, à part les opérateurs eux-mêmes, qui vont, bien sûr, vous dire que tout va bien.

Le principal fournisseur de l’infrastructure des télécommunications en Suisse, Swisscom, est pourtant majoritairement en mains de la Confédération.

A 51%, oui, mais cela ne signifie pas que la Confédération ait la visibilité ni d’ailleurs l’influence que seul un régulateur indépendant pourrait avoir. Et d’ailleurs, on attribue à Swisscom – sans savoir toutefois si le problème n’était pas plus général – les engorgements observés sur les réseaux au tout début du semi-confinement, le 16 mars. Vous aurez observé que, de leur côté, les fournisseurs de services très gourmands en bande passante, tels que YouTube, Netflix etc., ont spontanément réduit leurs débits – justement pour éviter ces engorgements … mais peut-être aussi pour éviter à ce que des voix politiques se lèvent, demandant un regard un peu plus averti sur l’état de notre infrastructure des télécommunications, qui est pourtant tout aussi vitale pour notre pays – économie et société – que les infrastructures de l’électricité, des transports et de l’eau.

Note: cette interview a été réalisée le 27 mars 2020.