Surveiller le phytoplancton lacustre depuis l'espace

© 2015 APHYS, EPFL/Damien Bouffard – l’embouchure du Rhône, vue d’un ULM.

© 2015 APHYS, EPFL/Damien Bouffard – l’embouchure du Rhône, vue d’un ULM.

Une étude de l’EPFL démontre que les images satellite peuvent être très utiles dans le suivi de la santé des eaux lacustres. Elles jettent également un nouvel éclairage sur certains processus biologiques temporaires, tels que la prolifération d’algues.


Partout dans le monde, les lacs et les rivières sont de plus en plus menacés par les activités humaines et nécessitent des mesures de surveillance de leur santé générale. En Europe, les plans d’eau sont analysés régulièrement. Mais la collecte d’échantillons étant coûteuse en temps et en argent, les lacs ne sont souvent testés qu’en un seul endroit et au mieux une à deux fois par mois. Un certain nombre de processus biologiques peuvent ainsi échapper à ces contrôles. En analysant des images satellite du Lac Léman couvrant toute une décennie, une équipe de chercheurs internationaux a démontré qu’elles étaient un bon moyen de compléter et d’optimiser les campagnes de surveillance sur le terrain. Les résultats de leur étude sont publiés dans le journal Science of the Total Environment.

Pressions anthropiques

Dans les lacs cristallins, les matières nutritives n’étant présentes qu’en faibles quantités, la croissance des plantes aquatiques est limitée. Mais lorsque, par ruissèlement, des engrais provenant de l’agriculture y sont déversés, ces végétaux peuvent se mettre à proliférer rapidement, puis à pourrir, utilisant ainsi tout l’oxygène contenu dans certaines parties du lac - parfois au détriment de certaines populations de poissons. Afin de prévenir ce phénomène, les taux de nutriments et de phytoplancton dans les lacs sont régulièrement mesurés. Pour ce faire, on prélève des échantillons d’eau, dont on analyse les concentrations de chlorophylle. Mais les chercheurs ont démontré que les images satellites pouvaient fournir ces informations de manière encore plus détaillée pour ce qui est des couches supérieures du lac.

En utilisant des images couvrant une période de dix ans, Isabel Kiefer, du Laboratoire de physique des systèmes aquatiques de l’EPFL, a mesuré les populations de phytoplancton dans le lac Léman. L’analyse de ces clichés, pris entre 2002 et 2012 à une altitude d’environ 800 km de la Terre par le satellite Envisat, a permis de remarquer des fluctuations géographiques et saisonnières que les méthodes traditionnelles n’avaient pas détectées. Au printemps et en été, les concentrations de chlorophylle à la fois les plus hautes et les plus variables ont par exemple été observées à l’embouchure du Rhône. En automne, les substances nutritives en provenance du fleuve s’accumulent en revanche à de plus grandes profondeurs. Le phytoplancton se développe alors hors de portée des satellites.

De plus, les données ont également permis d’évaluer la pertinence des sites actuellement utilisés pour le prélèvement d’échantillons. Or, il est apparu que si la fourchette dans laquelle se situent les concentrations de chlorophylle est bien représentée durant les mois d’été, ce n’est pas le cas au printemps et en automne dans différentes zones du lac. Un constat qui plaide donc pour une multiplication des sites d’échantillonnage.

Vert clair ou vert foncé?

Recourir à des satellites pour mesurer avec précision la croissance du phytoplancton n’est pas chose aisée. «La méthode consiste essentiellement à traduire la couleur des eaux lacustres en termes de concentrations de chlorophylle, souligne Damien Bouffard, responsable de l’étude. Mais certains paramètres, tels que la réflexion des montagnes environnantes, peuvent en modifier l’aspect.» Or, la profondeur à laquelle un satellite peut «voir» est conditionnée par la transparence de l’eau. Les chercheurs ont donc dû utiliser de complexes algorithmes pour contourner le problème. «Les images satellite à elles seules fournissent des informations d’une haute résolution spatiale et temporel, mais pour être précis, nous devons les calibrer manuellement et en continu. A long terme, nous espérons développer des modèles informatiques permettant de simuler les processus biologiques entre les différentes images satellite».

Damien Bouffard est justement impliqué dans un projet visant à appliquer d’une manière inédite la télédétection à la surveillance des lacs. «L’idée est de mettre en orbite une flotte de six petits satellites équipés de caméras capables de détecter la lumière jusqu’à une centaine de bandes de fréquence et passant plusieurs fois par jour au-dessus du lac Léman, décrit-il. Une étude de faisabilité est en cours avec l’eSpace, le Centre d’ingénierie spatiale de l’EPFL, et d’autres partenaires. S’il devient réalité, ce projet donnera un élan à la récolte de données à haute résolution spatiale, temporelle et spectrale. Il jettera ainsi un nouvel éclairage sur la dynamique complexe du Léman et celles d’autres lacs dans le monde.»

Cette recherche a été menée en partenariat avec Odermatt & Brockmann GmbH à Zurich, le Centre Alpin de Recherche sur les Réseaux Trophiques et Ecosystèmes Lacustres, en France (INRA – UMR CARRTEL), et Institut fédéral pour l'aménagement, l'épuration et la protection des eaux (EAWAG). Les données in situ sur la chlorophylle ont été fournies par la CIPEL.