Spintronique : des lasers pour contrôler des skyrmions

© 2018 EPFL

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Des scientifiques de l'EPFL ont produit des skyrmions contrôlables en utilisant des impulsions laser, franchissant ainsi une étape en direction de périphériques mémoire nettement plus efficaces du point de vue énergétique. Publié dans Physical Review Letters.


Un skyrmion est un ensemble de spins électroniques ressemblant à un vortex dans certains matériaux magnétiques. Les skyrmions peuvent exister individuellement, ou en textures qu'on appelle des treillages. Nommés ainsi en référence au physicien britannique Tony Skyrme, qui le premier a théorisé l'existence de leurs contreparties en particules élémentaires en 1962, les skyrmions ont attiré l'attention en raison de leur potentiel à être utilisés dans des dispositifs dits «spintroniques», qui utiliseraient le spin plutôt que la charge des électrons, devenant ainsi fortement miniaturés et efficaces sur le plan énergétique.

L'intérêt principal s'est porté sur les technologies des mémoires de stockage. Les skyrmions peuvent être assez stables et demandent très peu d'énergie pour leur écriture et leur effacement: certaines études ont montré que le fait de créer et d'annihiler des skyrmions pourrait être 10'000 fois plus efficace du point de vue énergétique que les dispositifs de stockage de données actuels. Toutefois, cela exigerait un moyen rapide et fiable de contrôler et de manipuler les skyrmions individuels.

Les laboratoires de Fabrizio Carbone et Henrik M. Rønnow à l'EPFL viennent de parvenir à écrire et à effacer des skyrmions stables au moyen d'impulsions laser. Les scientifiques ont utilisé un alliage fer-germanium, qui peut héberger des skyrmions à environ 0°C, pas très loin donc de la température ambiante. C'est en soi important, puisque nombre de ces expériences fondamentales ont lieu normalement à des températures trop basses pour avoir un jour des débouchés commerciaux.

Les chercheurs ont profité de l'effet de sur-refroidissement consécutif à un saut de température ultrarapide, induit dans l'alliage par une impulsion laser ultra-courte. Pendant le sur-refroidissement, les skyrmions peuvent être figés en des endroits où ils ne se trouveraient pas dans des conditions d'équilibre conventionnelles.

Les skyrmions en formation ont été photographiés en utilisant la cryo-microscopie à résolution temporelle de Lorenz, qui peut «voir» les structures du domaine magnétique et les mécanismes d'inversion de magnétisation dans l'espace réel et en temps réel. Cette technique est une évolution de la cryo-microscopie électronique statique, pour laquelle Jacques Dubochet a gagné le Prix Nobel de Chimie en 2017.

«Ce que nous avons fait, c'est appliquer une impulsion laser à l'alliage maintenu à une température et à un champ magnétique externe qui normalement interdisent l'apparition de skyrmions», dit Fabrizio Carbone. «On a vu apparaître des skyrmions individuels près de bords de l'échantillon à chaque flash lumineux. De plus, une fois les skyrmions établis, en ajustant les paramètres à proximité de la transition entre avoir les skyrmions et ne plus les avoir, des impulsions laser peuvent être utilisées pour les effacer par le biais d'une démagnétisation provoquée par chauffage.

Les chercheurs ont pu écrire et effacer des skyrmions sur l'alliage dans un intervalle de temps compris entre quelques centaines de nanosecondes et quelques microsecondes. Ces résultats suggèrent aussi des pistes pour maîtriser les niveaux de sur-refroidissement en vue d'un contrôle plus rapide des skyrmions, jusqu'à la picoseconde.

«Les niveaux d'énergie utilisés pour manipuler les skyrmions peuvent être très faibles», dit Carbone. «Cela signifie que, s'il s'agissait d'un dispositif de stockage de mémoire, la consommation d'énergie estimée par nos expériences, dans lesquelles les propriétés de la lumière ne seraient pas encore ajustée pour optimiser ce paramètre, se situe dans la région des femto-joules (un quadrillionnième de joule) par bit, déjà comparable aux prototypes disponibles les plus efficaces du point de vue énergétique».

Bien qu'il s'agisse d'une démonstration de principes, les chercheurs n'ont pas pu s'empêcher de penser en termes d'applications. «Nous avons calculé l'énergie requise dans notre expérience, sans aucune optimisation», dit Carbone. «Et nous avons trouvé qu'elle était déjà au niveau du dispositif de stockage de données le moins gourmand en énergie. Si on l'implantait dans des appareils, cela signifierait pour votre ordinateur portable une autonomie d’environ un mois entre deux recharges».

Collaborateurs

  • University of Glasgow
  • Osaka Prefecture University
  • JST PRESTO (Japan)
  • Hiroshima University
  • Centre interdisciplinaire pour la microscopie électronique de l'EPFL (CIME).
Financement

NCCR MUST

Fonds National Suisse (Ambizione et Advanced Postdoc Mobility grants).

Références

G. Berruto, I. Madan, Y. Murooka, G. M. Vanacore, E. Pomarico, J. Rajeswari, R. Lamb, P. Huang, A. J. Kruchkov, Y. Togawa, T. LaGrange, D. McGrouther, H. M. Rønnow, and F. Carbone. Laser-induced skyrmion writing and erasing in an ultrafast cryo-Lorentz transmission electron microscope (lien arXiv)