Recit d'une Scientifique en Arctique : Julia Schmale; EPFL Valais

© 2020 Sacha Bittel Le Nouvelliste

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Responsable du laboratoire de recherche en environnements extrêmes de l’EPFL Valais Wallis, Julia Schmale s’est rendue en Arctique pour y mener des analyses sur l’atmosphère, dans le cadre de la plus grande expédition jamais menée au pôle Nord. Elle raconte.
Elle est revenue en Valais après des mois passés dans les glaces arctiques pour étudier le climat. La scientifique Julia Schmale raconte cette expérience unique vécue dans le cadre de l’expédition Mosaic qui s’est terminée à la mi-octobre.

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La lune, les étoiles, et sinon... l’obscurité. Partout et tout le temps. Traverser la nuit polaire en Arctique à bord d’un brise-glace russe tient de l’expérience d’une vie, même pour une chercheuse qui n’en est pas à sa première expédition.

«J’avais le sentiment d’être sur une autre planète», commence Julia Schmale. Responsable du laboratoire de recherche en environnements extrêmes de l’EPFL Valais et établie à Sion depuis fin 2019, la jeune Allemande a quitté son bureau en janvier pour participer à Mosaic, la plus grande mission scientifique jamais menée en Arctique.

La nuit perpétuelle finit doucement par laisser un peu de place à la lumière du jour. © Jeff Bowmann

Et l’aventure a déjà débuté sur le trajet, avec un record du monde. Jamais un bateau de ce type n’avait navigué aussi loin au nord en plein hiver. «C’était un peu stressant», reconnaît en anglais et dans un sourire la professeure. «Nous avancions lentement et on n’était pas certains d’atteindre l’autre brise-glace. On commençait à manquer de carburant.»

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Comprendre le réchauffement arctique pour prédire

Finalement, le voyage dure cinq semaines et prend deux fois plus de temps que prévu. Début mars, l’équipe atteint le «Polarstern». Ce bateau, véritable centre névralgique de la mission, dérive depuis l’automne 2019 dans les eaux gelées. L’experte en science atmosphérique à l’EPFL s’installe et se met au travail. A la tête de l’équipe chargée des analyses atmosphériques, elle étudie la formation des nuages et leur rôle dans le réchauffement climatique de la région et de la planète.

Une station de mesures en situation précaire avec la glace qui craque et s’ouvre. © Julia Schmale

L’Arctique se réchauffe en effet beaucoup plus vite que le reste du monde. De quoi modifier des équilibres et notamment celui de la circulation d’air chaud et froid à l’échelle globale, provoquer des événements météorologiques extrêmes et influencer notre climat. «Ce qui se passe en Arctique est fondamental. Avec ces nouvelles connaissances, on va pouvoir mieux comprendre le fonctionnement de cette région et améliorer les modèles climatiques prédictifs qui seront utilisés ensuite pour le monde entier.» D’autres groupes de scientifiques se penchent sur l’eau, la glace et d’autres composantes de cet écosystème.

Avec ces nouvelles connaissances, on va pouvoir améliorer les modèles climatiques prédictifs qui seront utilisés ensuite pour le monde entier.
Julia Schmale, responsable du laboratoire de recherche en environnements extrêmes de l’EPFL Valais

Des conditions de recherche «intimidantes au début»

En attendant de présenter des résultats scientifiques, il y a déjà toute cette expérience unique à partager. «C’était fascinant. Chaque matin on découvrait que le paysage avait changé. La glace ne fait que bouger et rend l’environnement extrêmement dynamique.»

A tel point que la station de mesures laissée la veille en face du brise-glace se trouve à un tout autre endroit le lendemain. Peut-on y aller à pied? Faudra-t-il se servir de kayaks? «On se lève et il faut immédiatement s’adapter. On ne peut expérimenter cela que sur la banquise.» Lors des premières semaines, les températures atteignent les moins 40 degrés.

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Des conditions «intimidantes au début», selon la chercheuse de l’EPFL Valais. «On a limité notre présence en extérieur à deux heures au maximum. Il faut bouger suffisamment et avertir les collègues si on voit leurs joues ou leur nez blanchir.»

Cette photo prise en selfie par Julia Schmale témoigne des conditions difficiles parfois rencontrées en Arctique. © Julia Schmale

Du printemps à l’été en 42 heures

Sans compter la présence éventuelle d’ours polaires et la nécessité d’être accompagné tous les jours d’un garde pour les éloigner au besoin. «Au début c’est étrange et très vite on prend ses marques.»

Le «Polarstern» à la dérive au cœur des glaces arctiques. © Christian Rohleder

Au fil des semaines, les nuits interminables se muent en jour perpétuel. Le thermomètre grimpe. La scientifique avoue avoir été étonnée par la rapide transition entre le printemps et l’été. «Le passage d’une saison à l’autre a pris 42 heures. Je ne m’attendais pas à quelque chose d’aussi rapide.» Dans ce cours laps de temps, le thermomètre gagne 25 à 30 degrés Celsius et flirte avec le zéro.

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Quatre mois loin du Covid

Mais l’expérience vaut aussi pour la vie en commun avec des scientifiques de tous les âges et de tous les horizons. Des liens forts se créent sans distanciation sociale obligatoire. L’isolement dans les glaces arctiques a du bon. «Il n’y avait pas de Covid sur le bateau. On a pu faire notre job, se concentrer sur la science. Et la vie sociale était comme avant.»

Il n’y avait pas de Covid sur le bateau. On a pu faire notre job, se concentrer sur la science. Et la vie sociale était comme avant.
Julia Schmale, responsable du laboratoire de recherche en environnements extrêmes de l’EPFL Valais

Si le Coronavirus ne met pas en péril l’expédition, il prolonge la mission de Julia Schmale de deux mois. La chercheuse est finalement rentrée en juin dernier. Elle a depuis retrouvé son bureau de Sion avec des données à traiter plein les valises.

En savoir plus: MOSAiC Blog de l’EPFL

La plus grande expédition jamais menée en Arctique
C’est la plus grande expédition jamais menée au pôle Nord qui a pris fin le 12 octobre dernier. Durant plus d’un an, plusieurs centaines d’experts et scientifiques de vingt pays se sont relayés en Arctique sur un brise-glace. Leur objectif: récolter un maximum de données sur l’impact du changement climatique. Dotée d’un budget de 140 millions d’euros, la mission, partie de Tromso, en Norvège, a étudié à la fois l’atmosphère, l’océan, la banquise et l’écosystème.

L’analyse complète des observations faites sur place va prendre un ou deux ans. Elle devrait permettre la mise au point de modèles de prédiction du climat pour le futur. En attendant, les scientifiques ont déjà pu saisir l’ampleur du changement climatique dans le vaste océan Arctique qui se réchauffe. La menace d’une disparition de la banquise en été se précise.

Les chercheurs promettent de livrer des informations précieuses pour comprendre «les processus complexes» en jeu au pôle Nord qui conduisent à un réchauffement climatique plus accéléré encore dans cette région que dans le reste du monde.