«Quelle place pour la vérité en ces temps controversés?»

© 2025 EPFL/ Daryl Jeker

© 2025 EPFL/ Daryl Jeker

Oleksandr Sushynskyi est un historien de l’art, théoricien du 20e siècle, de nationalité ukrainienne. En 2022, il a été invité à poursuivre ses recherches au Laboratoire de muséologie expérimentale de l’EPFL (eM+), dans le cadre du programme Scholars At Risk (SAR). Ses travaux portent sur l’opacité des frontières entre le vrai et le faux.

La vie d’Oleksandr Sushynskyi est déjà impactée par le conflit de 2014, lorsque la ville de Donetsk, dont il est originaire, est prise par la Russie. Il part alors à Lviv, dans l’Ouest de l’Ukraine. Il y reste deux ans, puis s’établit à Chernivtsi, petite cité située à la frontière avec la Roumanie, où il travaille sept ans comme conservateur d’une galerie, s’impliquant dans des projets artistiques, organisant des festivals et donnant des conférences sur l’histoire de l’art du 20e siècle. Lorsque la guerre fait son retour en 2022, il s’inscrit pour terminer son master à l’EPFL et vient en Suisse dans le cadre du programme Scholars At Risk (SAR).

«La première fois que je suis entré au laboratoire, j’ai été impressionné par les installations, les technologies, les écrans, décrit le chercheur. Venant des sciences humaines, je n’avais jamais utilisé autant de techniques.»

Pour le temps de son séjour à l’EPFL, il propose de créer les premières archives numériques des pratiques d’art contrefactuel et entreprend de constituer une base de données comptant des centaines de projets artistiques appartenant à cette catégorie, ainsi que des fausses biographies imaginées par un groupe de créateurs ukrainiens.

«Mon idée était de trouver des initiatives artistiques provenant du monde entier, qui abordent la notion du faux, du vrai, de la mythologie, explique-t-il. En ces temps très controversés, il est important de se pencher sur la question de la vérité. Quelle place lui donner et comment la traiter en politique, en histoire? Comment l’identifier? Les pratiques artistiques peuvent-elles l'élaborer, la remettre en question ou la démanteler?»

Le chercheur estime que seuls environ 5% des projets intégrés aux archives proviennent d’Ukraine. Pourtant, souligne-t-il, le thème du contrefactuel et de la post-vérité concerne tout particulièrement ce pays et ceux qui ont connu l’ère soviétique et des régimes totalitaires. Car ces documents étaient alors inaccessibles à leur population. «J’observe que plus un pays est autoritaire, plus son rapport à la vérité est problématique. Dans ce sens, mon travail est directement lié à l’Ukraine.»

Un rêve devenant réalité

Avoir accès à la bibliothèque du Rolex Learning Center et à des centaines d’ouvrages pertinents pour son projet était l’un des grands avantages d’étudier à l’EPFL, décrit Oleksandr Sushynskyi. «J’ai demandé des centaines de livres. Grâce aux connections que cette bibliothèque entretient avec les autres institutions de Suisse, il a été possible de réserver toutes ces publications, albums et catalogues et de me les livrer gratuitement. J’avais de la peine à y croire, c’était un rêve devenu réalité».

Son Master de l’EPFL en poche, il envisage maintenant d’entreprendre un doctorat. A condition de trouver le financement nécessaire. Il espère également pouvoir transformer sa bibliothèque numérique en bibliothèque physique. «Je rêve d’un lieu totalement ouvert aux chercheurs, aux historiens de l’art, aux écrivains et à d’autres encore».

Avec quelques collègues, il a un autre projet: organiser un festival de musique du 20e siècle et de compositeurs classiques contemporains, qui aurait lieu l’année prochaine à Zurich. La musique est en effet l’une des passions d’Oleksandr Sushynskyi. Et de conclure : «mon passage à l’EPFL restera pour moi un grand moment de plaisir et une expérience incroyable».

Le programme Scholars At Risk (SAR)

Scholars At Risk (SAR) est un réseau international regroupant 665 universités de 49 pays. Le but de ce programme est d’offrir une protection aux universitaires réfugiés ou à risque, prévenir les attaques contre la communauté scientifique et promouvoir la liberté académique. Ces deux dernières années, les institutions membres ont créé 354 postes temporaires à travers le monde.

L’EPFL a proposé le premier poste de l’«Académie pour la paix» en 2019 à un membre provenant de Turquie, suivi de deux autres attribués à des femmes universitaires afghanes, puis à des chercheurs d’Ukraine et de Russie, menacés et forcés de quitter leur pays en raison de leurs recherches, leurs idées, leur place dans la société ou de conflits armés. Au total, huit emplois temporaires ont été offerts sur le campus entre 2019 et 2024, au Collège des Humanités (CDH) et au sein d’autres facultés, grâce au soutien financier de la Fondation EPFL Plus, du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), du Program for Scholars At Risk, du CDH et des laboratoires impliqués. Directrice adjointe du CDH, Gabriela Tejada est la déléguée de l’EPFL pour le programme et travaille en collaboration avec l’unité des affaires internationales relié à la Présidence de l’École.


Auteur: Stephanie Parker

Source: Collège des humanités | CDH

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