"Quand la Suisse se donne l'ambition, tout est possible”

Emile de Rijk, CEO de SWISSto12 © Alain Herzog, EPFL

Emile de Rijk, CEO de SWISSto12 © Alain Herzog, EPFL

La Spin-off de l’EPFL SWISSto12 vient de signer un accord avec le fournisseur de services de télécommunications Intelsat pour la livraison d’un satellite. Interview avec son CEO Emile de Rijk sur ce succès et les développements à venir pour l’entreprise vaudoise.

La Spin-off de l’EPFL SWISSto12 vient de signer un accord avec le fournisseur de services de télécommunications par satellite Intelsat. Active depuis 2011, l’entreprise basée à Renens va développer, fabriquer et livrer pour Intelsat un satellite de télécommunications révolutionnaire, plus de 3 fois plus petit et léger que ceux qui existent aujourd’hui sur le marché. Son CEO Emile de Rijk revient pour le Technology Transfer Office de l’EPFL sur cet accomplissement majeur et les futurs développements de la compagnie.

Qu’est-ce que l’accord passé avec Intelsat signifie pour SWISSTo12 ?
Nous sommes la première entreprise qui ne soit pas un géant de l’Aerospace à vendre un satellite opérationnel de télécommunications Géostationnaire à un opérateur de télécommunication établi dans le domaine ; du jamais vu depuis le début de cette industrie il y a environ 60 ans. Cela marque aussi un tournant dans notre histoire avec le lancement d’une nouvelle gamme de produits, à savoir le développement de nos propres satellites (complets). Cette activité vient s’ajouter à notre portefeuille historique qui est composé de produits imprimés en 3D destinés au marché des antennes de télécommunications satellitaires et d’applications de télécommunications, de surveillance et de radar pour l’industrie aéronautique.

Justement, comment l’idée de développer votre « propre » satellite est-elle née ?
La technologie que nous avons initialement mise au point permet, notamment, de remplacer les antennes traditionnellement usinées en aluminium (avec de multiples pièces fabriquées séparément qu’il faut ensuite assembler) par des antennes jusqu’à dix fois plus légères mais aussi optimisées pour plus de performance et plus rapides à produire, directement imprimées d’un seul tenant en 3D. Nos produits permettent donc d’optimiser les satellites et l’idée d’explorer le marché afin de voir si nous pouvions nous positionner en utilisant notre savoir-faire unique et breveté pour créer notre propre satellite a émergé il y a 3 ans.

En quoi ce nouveau produit est-il novateur ?
Le HummingSat est 3 à 5 fois plus petit et moins lourd — et donc moins cher — que les satellites présents sur le marché. Il fait la taille d’une machine à laver, alors que les produits disponibles aujourd’hui font la taille d’une semi-remorque. Les satellites traditionnels coutent en moyenne entre 150 et 500 millions de dollars. Cela représente de grosses décisions d’investissement pour les opérateurs qui doivent s’assurer d’avoir des clients durant toute la durée de vie du satellite qui est généralement supérieure à 15 ans. Il y a de nombreux marchés, trop petits ou trop incertains, dans lesquels ils n’investissent donc pas. Mais la demande est là, avec des clients prêts à payer et qui ne sont actuellement pas (ou peu) desservis.
Nous arrivons dans ce contexte, avec un produit plus petit, donc beaucoup moins cher, qui offre une grande flexibilité dans les décisions d’investissement pour les opérateurs de télécommunications. Par exemple, il est désormais possible de tester un marché avec un petit satellite ; et si le succès est au rendez-vous de passer ensuite à un satellite plus gros. Le HummingSat peut également être utile pour de petits États qui souhaiteraient avoir leur propre réseau de télécommunication, sécurisé et indépendant, et qui n’ont souvent pas les moyens d’acheter un gros satellite ou qui ont une surface géographique trop petite qui ne permet pas une exploitation optimale d’un gros satellite.

Avez-vous des concurrents ?
Nous avons des concurrents en Europe et aux États-Unis qui développent aussi des plus petits satellites de télécommunications, mais nous sommes les premiers à vendre un produit à un client qui soit un opérateur satellitaire majeur, global et établi. Nous nous positionnons dans un segment de marché complètement nouveau dans cette gamme de taille et de capacité de satellites.

Comment voyez-vous le développement de SWISSto12 dans les années à venir ?
De nombreux clients sont intéressés par notre nouveau produit. Nous espérons vendre plusieurs satellites par année et renforcer cette activité. Ces gros projets — qui représentent des contrats à plusieurs dizaines de millions de dollars — occupent des équipes de plus en plus importantes et nous accueillons continuellement des talents qui sont intéressés à forger un nouveau chapitre pour notre industrie. En 2023, nous allons recruter une trentaine de personnes pour compléter notre équipe, aujourd’hui constituée de plus de 50 collaboratrices et collaborateurs.

Quel regard portez-vous sur l’écosystème des technologies spatiales en Suisse ?
La Suisse a souvent été modeste, mais quand elle se donne l’ambition tout est possible. Il y a une tendance à se focaliser sur des technologies de niches ou des produits très spécifiques, mais notre exemple montre qu’il est possible de devenir le maître d’œuvre de tout le système de manière compétitive. Il faut le souligner. Les exemples récents d’Astrocast ou encore de ClearSpace le montrent aussi dans la région Lausannoise.
Nous bénéficions également d’un fort soutien de l’Agence spatiale européenne (ESA) et du Swiss Space Office (SSO). Le satellite que nous développons pour Intelsat est, par exemple, fait en partenariat avec l’ESA qui co-finance notamment certains développements et qui met à disposition une importante équipe technique et une expertise très importante pour l’exécution des travaux. Ce partenariat nous a permis de faire ce grand pas en avant.