Quand l'EPFL et la HES-SO Valais rapprochent leurs équipes

© 2019 Sacha Bittel - Le Nouveliste

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Quand l’EPFL et la HES-SO Valais rapprochent leurs équipes pour mieux faire apparaître le Valais.
Un Silicon Valais? L’expression amuse, mais l’idée séduit. La recherche valaisanne, renforcée depuis 2014 par l’EPFL Valais, ne manque pas d’idées, mais de reconnaissance. Pour y parvenir, Etat et institutions scientifiques investissent dans les synergies et ils le font savoir. Simple exercice de communication ou stratégie féconde? Notre enquête au cœur de la recherche valaisanne.

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Jessen Page, professeur HES, et François Maréchal, professeur en systèmes énergétiques à l'EPFL collaborent étroitement. Le futur campus Energypolis sera leur labo.

Jessen Page, professeur HES, et François Maréchal, professeur en systèmes énergétiques à l'EPFL collaborent étroitement. Le futur campus Energypolis sera leur labo. Sabine Papilloud - Le Nouvelliste

Ils s’installent sur un même campus, développent des projets communs, les liens se tissent et se renforcent, tandis que les profils des uns séduisent les autres. Plus que jamais auparavant, les acteurs de la recherche valaisanne s’unissent et développent des pôles de compétences – ou hubs – dans l’énergie, la e-santé ou la mobilité.

Dernière corde à l’arc des synergies scientifiques en Valais, la création d’un Institut en énergie et environnement présenté en décembre dernier par les autorités cantonales et la direction de la HES-SO Valais afin de développer «un pôle de compétences complémentaires favorisant l’innovation dans un domaine clé pour le canton». La nécessité de créer des synergies constitue un argument porteur et dans l’air du temps, mais la stratégie sous-jacente est-elle vraiment féconde? 

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Deux conseillers d’Etat étaient présents lors de la présentation du nouvel Institut énergie et environnement de la HES-SO Valais. L’institut interdisciplinaire a pour ambition de développer des projets en collaboration avec l’EPFL ou le CREM. SACHA BITTEL - Le Nouvelliste

Une masse critique pour exister

Quand Patrick Aebischer a annoncé son désir d’implanter une antenne de l’EPFL en Valais, les cerveaux se sont instantanément mis à chauffer. Le Conseil d’Etat, qui désirait depuis des années que le Valais devienne un canton universitaire, y a vu une occasion à ne pas laisser filer. Fait suffisamment rare pour être apprécié, tous les ministres se sont déplacés pour la signature de la convention d’implantation. Quant à la direction de la HES-SO Valais, elle était ballottée entre «une crainte légitime de voir son enveloppe budgétaire s’affiner et l’occasion de se rapprocher d’une institution académique prestigieuse et mondialement reconnue», se rappelle Joseph El Hayek, ancien directeur de la Haute école d’ingénierie. Cinq ans plus tard, cette crainte ne s’est pas matérialisée assure François Seppey, directeur actuel de l’école. «Notre socle de base a diminué, mais ces variations n’ont aucun rapport avec l’EPFL. Au contraire, sans leur arrivée, jamais nous n’aurions pu obtenir les montants pour la construction du campus Energypolis.»

Ces montants – à savoir près de 180 millions de francs – proviennent principalement du canton et de la ville de Sion, qui ont tenu à inscrire au cœur même du campus Energypolis la notion de synergie. «Afin de positionner notre canton sur la carte de la recherche dans des domaines comme la e-santé, l’énergie ou la mobilité, il faut dépasser une certaine masse critique. En Valais, ce seuil ne peut être atteint que par la création d’un véritable écosystème de compétences dans les domaines du campus Energypolis», assure Sophia Dini, déléguée au campus. L’objectif politique est clair: rapprocher pour mieux apparaître. Reste la pertinence scientifique.

Cette prothèse de main a été développée par le prof. HES Henning Müller et son adjoint Manfredo Atzori, qui collaborent régulièrement avec Friedhelm Hummel de l’EPFL, mais pas aussi souvent qu’ils le désireraient. SEDRIK NEMETH - Le Nouvelliste

Un labo en forme de campus

«C’est un projet unique en Suisse, voire en Europe.» Spécialisé dans les systèmes énergétiques urbains à la HES-SO Valais, Jessen Page collabore étroitement avec François Maréchal de l’EPFL. Les deux suivent le développement du campus Energypolis avec la plus grande attention, car il sera leur laboratoire. «Les quatre bâtiments seront pour nous une énorme plateforme de recherche. Notre travail consiste à étudier et à améliorer les réseaux énergétiques urbains, c’est-à-dire le froid, le chaud, l’électricité et le gaz. C’est une occasion exceptionnelle.» affirme-t-il.

«On est complémentaire, mais il faut le découvrir.»
François Maréchal, professeur EPFL en systèmes industriels

Les deux professeurs tiennent à cette collaboration, à tel point que François Maréchal a même engagé Jessen Page à 20% dans son laboratoire «afin de faciliter la collaboration. Nos recherches ont pour finalité de se rapprocher de l’industrialisation. Comme la HES-SO et l’EPFL se situent à différents endroits sur la chaîne de transmission du savoir et des technologies, l’EPFL s’étant spécialisée dans la recherche fondamentale, la HES-SO Valais dans la recherche appliquée, créer des liens a un intérêt évident à mes yeux. On est complémentaire, mais il faut le découvrir.» 
Mais l’intérêt des collaborations dans la création d’une chaîne de valeur, de la recherche fondamentale à la commercialisation d’un produit innovant, tout le monde n’y croit pas. «C’est un argument vendeur, mais essentiellement vide. Ces collaborations renforcent la qualité de la formation, et les professeurs de la HES-SO Valais nous permettent d’entamer le dialogue avec les PME locales, ils connaissent cette réalité», assure François Avellan de l’EPFL. Lui-même proche de la recherche appliquée, il collabore néanmoins régulièrement avec Cécile Münch-Aligné de la HES-SO Valais sur des projets hydroélectriques.

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L’EPFL, garant de crédibilité

De son côté, la HES-SO a tout à gagner de ces collaborations. Elles lui permettent d’accéder à de plus larges horizons de recherche. «Avoir l’EPFL comme partenaire nous permet de gagner en crédibilité et ainsi de participer, voire de coordonner, des projets suisses ou européens, très stimulants par leur envergure et leur complexité», affirme Henning Müller de la HES-SO Valais, spécialisé dans l’imagerie médicale.

«Il n’y a pas de compétition by design, juste des relations professionnelles, certaines fonctionnent, d’autres moins.»
Yann Bocchi, responsable de l’unité «software engineering» de la HES-SO Valais

Une quinzaine d’initiatives sont actuellement menées en collaboration entre les deux écoles. L’institut de recherche Idiap, le CREM et la fondation The Ark sont régulièrement associés à ces impulsions, qui parfois se transforment en pépites comme le montre l’histoire de la startup Keylemon, spécialisée dans les systèmes d’authentification 3D. Le Mobility Lab, développé en collaboration avec La Poste, a accouché de plusieurs projets avant-gardistes comme la navette autonome qui chemine dans les rues de Sion ou Scanvan, un système embarqué pour scanner une ville en 4D. Un réseau innovant de collaborations dans la recherche médicale a également vu le jour entre l’Hôpital du Valais, l’EPFL, la Clinique bernoise et le Centre romand de réadaptation SuvaCare.

La navette autonome sillonne les rues de Sion depuis 2016 à une vitesse de 6 km/h. HELOISE MARET - Le Nouvelliste

Entre compétition et coopération

En se rapprochant du quotidien des chercheurs apparaissent les reliefs de ces collaborations. «C’est perturbant, nous sortons de la zone de confort, il faut confronter les procédures», confie François Avellan, mettant ainsi en lumière les approches différentes d’un même projet. La notion de rivalité n’apparaît que très peu, car «elle concerne avant tout la recherche de fonds et on ne s’adresse pas aux mêmes sources».

Du côté HES, cette notion de rivalité prend un autre sens. «On a parfois l’impression d’être des chercheurs de seconde zone», «ils sont mieux payés et bénéficient de meilleures conditions de recherche» peut-on parfois entendre. Toutefois, les propos sont contrebalancés par la nécessité d’une saine compétition, parfois appelée «coopétition». Le professeur HES Yann Bocchi l’affirme: «Il n’y a pas de compétition by design, juste des relations professionnelles, certaines fonctionnent, d’autres moins.»

Mieux soutenir l’impulsion

Alors comment comprendre ces différences de traitement? «Le but premier de la HES-SO, c’est l’enseignement, contrairement à l’EPFL où la recherche occupe 80% du temps des professeurs», résume Marc-André Berclaz, directeur opérationnel de l’antenne EPFL Valais. Cette différence de philosophie se répercute sur la répartition des budgets.

«Le meilleur moyen pour le canton de soutenir l’innovation et les projets de collaboration serait d’allouer un montant supplémentaire qui ferait office d’impulsion pour les projets de collaboration.»
François Seppey, directeur de la HES-SO Valais

La situation peut certes froisser l’ego des chercheurs, mais elle génère des biais plus gênants. Dans des efforts de collaboration avec Friedhelm Hummel de l’EPFL, Henning Müller a dû mettre certains projets entre parenthèses, car «je ne peux pas mettre mon équipe sur un nouveau projet sans avoir trouvé de financement, contrairement à lui. Ici, le mode de financement des HES est en cause». Les synergies scientifiques, factuellement pertinentes pour la constitution d’une chaîne de valeurs, ne seraient-elles pas suffisantes? «C’est un des freins concrets que l’on peut avoir au développement des collaborations. Le meilleur moyen pour le canton de soutenir l’innovation et les projets de collaboration serait d’allouer un montant supplémentaire qui ferait office d’impulsion pour les projets de collaboration», soutient François Seppey, directeur de la HES-SO Valais. Cette idée, partagée par de nombreux professeurs, Christophe Darbellay la connaît bien, mais «aucune décision n’a été prise pour l’instant. Cette discussion sera reprise une fois le Campus opérationnel».

Toujours plus pointu, le savoir scientifique doit pouvoir se dérouler par étapes, des interrogations les plus abstraites jusqu’aux applications réelles sur le marché. Développer des centres de compétences est une stratégie qui fonctionne. La Silicon Valley en est l’exemple le plus criant, mais Boston et la e-santé ou, plus proche de chez nous, Zug et les cryptomonnaies ont su également s’illustrer par des politiques similaires. Toutes proportions gardées, le Valais bénéficie d’un terreau favorable au développement de plusieurs hubs technologiques par ses qualités climatiques et géomorphologiques, ses réseaux de compétences et ses spécialisations scientifiques. Reste à assurer, sur le long terme, la solidité de cette chaîne et de ses éléments les plus fragiles.