Protéger les villes dotées d'un estuaire de futures inondations

L'estuaire de la Gironde, l'un des plus grands du monde. © Chell Hill /Wikimedia Commons

L'estuaire de la Gironde, l'un des plus grands du monde. © Chell Hill /Wikimedia Commons

La hausse du niveau des mers due au changement climatique exposera les villes bordées d’un estuaire aux inondations et à une érosion conséquente. Une étude de l’EPFL conjointe avec l’Université de New South Wales de Sydney permet d’en comprendre les enjeux hydrodynamiques et ouvre la voie à des aménagements préventifs.

Près de 60% de la population mondiale vit près d’un estuaire, à l’instar de New York et Tokyo et de 21 des 30 plus grandes villes du monde. Pouvant mesurer plusieurs centaines de kilomètres de long, les estuaires sont des écosystèmes riches et complexes, mêlant eau douce et eau salée. Ils remplissent un rôle social et économique majeur pour la population alentour, notamment dans le transport des marchandises, les loisirs et la pêche. Ils sont de deux types: soit l'ouverture vers la mer est restreinte, soit elle est large. A noter que la taille de l’ouverture de certains estuaires varie en fonction du transit d’eau et de sédiment.

D’ici la fin du siècle, le niveau des océans devrait globalement augmenter, de quelques dizaines de centimètres, à plus de 2 à 2,5 mètres, selon les scénarios de faibles ou fortes réductions des gaz à effet de serre et dans l’incertitude de la fonte des glaces en Antarctique et au Groenland. Cette hausse aura un impact majeur sur le comportement hydrodynamique des marées dans les estuaires et pourrait déclencher un effet de résonance important à l’intérieur, impactant les villes qu’ils bordent. Dans le pire des cas, des inondations et une érosion accrue des côtes pourraient survenir.

A l’EPFL, Steve Hottinger a consacré en 2019 son projet de Master en sciences et ingénierie de l’environnement à ce sujet. Son travail a connu un développement fructueux: en collaboration avec l’Université de New South Wales de Sydney, en Australie, l’étudiant, désormais diplômé de l’EPFL, vient de publier en tant que co-premier auteur ses recherches dans une revue de forte notoriété (q1), Estuarine, Coastal and Shelf Science. 

Ratios critiques
Cette recherche permet d’identifier les ratios critiques entre la taille de l’ouverture de l’estuaire et les risques d’inondations et d’érosion de la côte en étudiant l’amplification, la déformation, la réflexion et les phénomènes de résonances des marées. Ainsi, dans les estuaires avec des entrées restreintes à 80%, la variation du niveau d’eau diminue de 20 à 60% dans cette zone, par rapport aux estuaires non restreints, ce qui constitue une différence considérable. Et même si la vitesse maximale du courant de marée est plus élevée dans la partie restreinte, elle sera plus faible dans la partie intérieure.

Pour parvenir à ces résultats, les chercheurs ont modélisé 200 estuaires et simulé une hausse du niveau de la mer entre 0 et 2 mètres, à laquelle s'ajoutent les marées, afin d’évaluer l'impact hydrodynamique global. De nombreux paramètres ont été pris en compte, à l’instar de la vitesse d’entrée de l’eau, du rapport entre la longueur et la largeur des estuaires de forme prismatiques, de leur degré d’ouverture sur la mer, de l’amplitude et du courant des marées et de la mesure des profondeurs marines (bathymétrie). Enfin, en modélisant durant 60 jours des marées, avec un relevé toutes les 15 minutes échantillonné sur une grille de plusieurs milliers de points, les chercheurs ont généré une grande base de données.

Eviter la catastrophe
Cette modélisation permettra de mieux comprendre dans quels cas les villes devront réduire d’ici à 2100 l’ouverture de leur estuaire pour éviter la catastrophe: «Il s’agit d’une étude fondamentale qui permet d’envisager l’application de notre modèle à des cas réels», s’enthousiasme Giovanni De Cesare, directeur opérationnel de la Plateforme de constructions hydrauliques de l’EPFL, co-auteur de l’article et superviseur du projet de Master.

«Dans certains cas, nous pourrions également étudier la possibilité d’ajouter à l’estuaire une usine marée-motrice, afin de produire de l’électricité avec cette source d'énergie renouvelable, ajoute Giovanni De Cesare, mais l’impact écologique et sociétal d’une telle mesure devra être pris en compte au cas par cas.» De futures recherches intègreront également au modèle l’impact du débit de la rivière.

Références

Danial Khojasteh, Steve Hottinger, Stefan Felder, Giovanni De Cesare, Valentin Heimhuber, David J. Hanslow, William Glamore, “Estuarine tidal response to sea level rise: The significance of entrance restriction”, Estuarine, Coastal and Shelf Science, 25 août 2020. Doi: 10.1016/j.ecss.2020.106941