Pièges à CO2, les tourbières sont à protéger
Trop d’azote nuit à ces milieux écologiques fragiles et pourrait mener au relâchement dans l’atmosphère de grandes quantités de dioxide de carbone, comme le souligne un article réalisé par des chercheurs du Laboratoire des systèmes écologiques (ECOS) de l'EPFL, paru récemment dans le journal «New Phytologist».
Un apport trop important d’azote, conjugué à des températures plus élevées, menace sérieusement l’existence des tourbières. Or, celles-ci retiennent une grande partie du carbone des sols du monde, que la destruction de ces milieux fragiles rejetterait dans l’atmosphère…
Ce risque majeur est mis en lumière dans un article récemment paru dans la revue «New Phytologist », publié par Alexandre Buttler, professeur au Laboratoire des systèmes écologiques de l’EPFL, en collaboration avec Luca Bragazza, professeur à l’Université de Ferrara en Italie et au WSL Site de Lausanne. Dans le cadre d’un consortium de scientifiques destiné à mieux comprendre les enjeux liés à la tourbe, ils ont compilé et mis en relation les résultats de 29 études réalisées dans 14 pays d’Amérique du Nord et d’Eurasie.
Depuis la fin du Pleistocène (il y a env. 12'000 ans), les tourbières influencent significativement l’atmosphère de la Terre. Bien qu’elles ne couvrent que 3% des terres émergées, on estime qu’elles retiennent environ un tiers du carbone contenu dans les sols de la planète. Elles résultent le plus souvent d’une accumulation de la matière organique partiellement décomposée d’une sorte de mousses appelées « sphaignes ».
«Ces plantes ont un caractère particulier: elles ont des propriétés antibiotiques qui font que les micro-organismes ne les décomposent que très lentement», relève Alexandre Buttler. Ces tourbières à sphaignes sont aussi des milieux très pauvres en nutriments. Leur survie repose donc essentiellement sur les apports de l’atmosphère. Ainsi, tout changement qualitatif ou quantitatif dans les précipitations peut sérieusement altérer la capacité de ces sites à absorber le CO2 atmosphérique. Comme les sphaignes ne peuvent pas réguler leur contenu en eau, contrairement aux plantes vasculaires, plus évoluées, elles ont besoin d’un surplus de liquide pour survivre et prospérer. Une période de sécheresse peut donc leur être fatale.
Qu’en est-il alors des effets de l’azote, élément important dans le processus de croissance des plantes, mais qui peut bouleverser l’équilibre entre plantes si sa forme assimilable est présente en trop grande quantité? Conséquence d’activités humaines telles que la combustion fossile et l’utilisation d’engrais dans l’agriculture, les quantités d’azote assimilable présentes à la surface de la terre ont considérablement augmenté. Il est aujourd’hui estimé qu’elles ont doublé en 100 ans, menant à un changement dans la composition des espèces végétales dans les tourbières et favorisant notamment les plantes vasculaires aux dépens de la production de sphaignes. Les premières se décomposant beaucoup plus facilement que les deuxièmes, la masse de tourbe risque donc de décroître rapidement.
«Si l’augmentation des émissions d’azote dans une zone où il est peu présent favorise la croissance ou, du moins, n’affecte pas la production des sphaignes, relève Alexandre Buttler, nous avons pu démontrer qu’un apport important nuit en revanche à cette production, ce d’autant plus si la région en est déjà chargée.»
L’un des résultats les plus inattendus de cette recherche est que l’augmentation du taux d’azote interagit également avec des facteurs climatiques. «Nous avons découvert que des températures plus élevées intensifient encore cet effet négatif, ajoute Luca Bragazza. Nos calculs montrent qu’un apport croissant d’azote combiné avec un climat plus chaud pourrait réduire fortement les capacités des tourbières à sphaignes à séquestrer le carbone.»