« On nous donne ce rôle de faire l'interprète entre les deux mondes »

Justine Epiney et Mehdi Ali Gadiri, bénéficiaires du programme MD-PhD à l'EPFL. © Alain Herzog, EPFL

Justine Epiney et Mehdi Ali Gadiri, bénéficiaires du programme MD-PhD à l'EPFL. © Alain Herzog, EPFL

Trois diplômés en médecine intègrent cette année l’EPFL pour y effectuer un doctorat en sciences médicales. Des profils riches et uniques, acquis via un investissement très important dans les études et le travail, et récompensés par le programme MD-PhD.

Très tôt dans ses études, Justine Epiney sait déjà qu’elle veut s’orienter vers la recherche biomédicale. Prête à se donner les moyens de viser haut, sa maturité en poche, elle quitte les montagnes de son Valais natal pour les rives américaines de l’Atlantique, où l’attend un bachelor en sciences à la prestigieuse université Tufts de Boston. Obtenu avec double major en biologie et santé publique, les bases sont posées. Elle traverse alors de nouveau l’océan pour Lausanne, direction les bancs de l’École de médecine de l’Unil, directement en deuxième année. Tout près, un autre jeune homme est aussi venu de loin pour poser ses valises au bord du lac Léman, dans l’université voisine : diplômé du lycée international de Djeddah, en Arabie saoudite, Mehdi Ali Gadiri s’épanouit dans le master en micro nanotechnologies de l’EPFL, et lorgne aussi vers la recherche médicale. Ils ne le savent pas encore, mais leurs parcours, quoique très différents, va les mener au même endroit.

Justine Epniey à la remise de diplôme de Bachelor de l'Université Tufts. © Justine Epiney

En intégrant un cursus en médecine, les étudiants savent qu’ils doivent se préparer à six années de travail difficiles et à une forte compétition. Souvent, l’objectif est de choisir une spécialité et commencer une carrière dans le soin à la personne, en hôpital ou en cabinet. Mais il en est pour qui la soif d’apprendre et de comprendre au sein du monde académique ne s’arrête pas là. Chaque année en Suisse, un très faible pourcentage de diplômés en médecine entament un doctorat, afin de se spécialiser encore plus, pouvoir non seulement appliquer leurs connaissances, mais aussi les questionner, et chercher à les faire évoluer selon le mode de pensée bien particulier des chercheurs.

Le prix à payer est un investissement en temps et en travail largement supérieur aux études de médecine « traditionnelles ». Justine Epiney en a bien conscience quand elle intègre le laboratoire de la professeure Elisa Oricchio, au sein de l’Institut suisse de recherche expérimentale sur le cancer à l’EPFL, où elle enchaine les stages chaque été et effectue son projet de master. Mehdi Ali Gadiri, lui, profite du programme passerelle avec l’Université de Genève pour faire valoir une première année de médecine et combiner la deuxième et la troisième année en même temps. « Venant de micro technique, c’était une année un peu dure ! », lâche-t-il dans un rire. « Ils étaient réticents à me prendre au début car je n’avais pas tant de bases en microbiologie ou en physiologie. Mais ils ont accepté de faire un test. » Test réussi. Tous les deux ont terminé leurs études de médecine en 2022.

Mehdi Ali Gadiri lors de sa remise de diplôme de master à l'EPFL. © Mehdi Ali Gadiri

Double expertise

Dans le domaine de la santé, la recherche, qui vise à mieux comprendre le corps humain et ses maladies, afin de développer et prouver l'efficacité de nouveaux traitements, n’est pas forcément complémentaire avec la médecine clinique, pratiquée au quotidien par les médecins. C’est pourquoi les médecins chercheurs, à cheval entre les deux mondes, sont si indispensables au progrès biomédical. Le programme MD-PhD, géré par le Fonds national suisse et l’Académie suisse des sciences médicales, encourage ces vocations en octroyant chaque année des subsides compétitifs. Justine et Mehdi font partie des 8 bénéficiaires romands (sur 13 en Suisse) pour l’édition 2022, et des trois qui intègrent cette année l’EPFL où ils pourront aider à développer des technologies qui amélioreront les soins aux patients.

« J’ai remarqué pendant mes études qu’il y avait un manque de compréhension entre les cliniciens et les chercheurs, le langage est très différent, et ce n’est pas évident de communiquer. En tant que MD-PhD, on nous donne ce rôle de faire l’interprète entre les deux mondes, comme on est acceptés chez les médecins et chez les biologistes », explique Justine Epiney. Elle qui confie aimer aller au fond des choses, avoue avoir toujours été frustrée par le manque d’approfondissement des connaissances dans ses études de médecine, « ce qui est normal dans un métier ou on a beaucoup de patients à soigner en peu de temps, et pas tellement le temps de passer sa journée à réfléchir sur des mécanismes ».

Mehdi Ali Gadiri en laboratoire, dans les salles blanches de l'EPFL. © Mehdi Ali Gadiri

Avec sa solide formation d’ingénieur, Mehdi Ali Gadiri se reconnaît dans ces affirmations. « Très tôt à l’EPFL, on nous fait intégrer qu’on ne peut pas apprendre quelque chose sans le comprendre. Je ne pouvais pas concevoir la médecine autrement. Pour moi, il est impossible de dissocier recherche et médecine ».

Regard différent

En plus des longues nuits et week ends passés à préparer le concours du programme MD-PhD et écrire leurs projets de thèses, en plus des journées de cours à l’université et les stages en clinique à l’hôpital, les deux étudiants font parfois face à l’incompréhension de leurs camarades. « On avait souvent des commentaires du style ‘mais pourquoi faire tout cela ? Il y a des biologistes pour écrire des livres, nous, nous sommes là pour soigner’. J’ai dû calmer ce questionnement qui me venais à chaque fois que je lisais une phrase dans un livre de médecine, surpris de réaliser à quel point certaines choses sont empiriques », se rappelle Mehdi.

Les profils des deux étudiants, certes peu courants, prouvent qu’un mélange de passion et de travail peut s’avérer payant. Les résultats se font sentir, justement au début de la thèse, car les compétences apportées aux laboratoires de recherche sont inestimables. « Mehdi est unique, par sa formation en médecine et en micro-ingénierie. Il comprend parfaitement ce que nous faisons, et nous apporte les connaissances médicales dont nous manquons dans le groupe. D’un autre côté, nous avons parfois des difficultés à faire le lien avec les cliniciens et à leur expliquer le fonctionnement de notre technologie. L’avoir dans notre laboratoire va changer la donne », s’enthousiaste le Professeur Selman Sakar, qui dirige le laboratoire de systèmes microbiorobotiques de la Faculté des sciences et techniques de l'ingénieur à l’EPFL. Mehdi y développera, pour sa thèse, un cathéter microrobotique pour les interventions cardiovasculaires, en étroite collaboration avec le Professeur Olivier Müller, chef de service de cardiologie du CHUV.

Justine Epiney en salle d'opérations. © Justine Epiney

De son côté, Justine reste au laboratoire de la Professeure Elisa Oricchio, où elle va travailler à identifier des mécanismes de résistance limitant la phagocytose cellulaire dépendante des anticorps dans le lymphome. « Dans le laboratoire, nous avons des questions de recherche visant à aborder des problèmes cliniquement pertinents, mais nous sommes séparés de ce domaine. Les MD-PhD comme Justine peuvent nous apporter cette perspective, nous guider sur la façon dont la recherche peut se rapprocher de la clinique. C’est quelque chose d’unique », abonde Elisa Oricchio.

Pour la professeure, par ailleurs membre du comité de sélection de candidats MD-PhD à Lausanne, le programme est encore trop peu connu en Suisse. Or il représente, comme Mehdi et Justine ont pu en faire l’expérience, une opportunité d’ouvrir sa carrière à de très grandes perspectives.