« Nous vivons à une époque où il faut écouter la science »

Athanasios Nenes a été élu le 18 novembre fellow de l’Union américaine de géophysique, la plus importante organisation mondiale dans ce domaine © Alain Herzog

Athanasios Nenes a été élu le 18 novembre fellow de l’Union américaine de géophysique, la plus importante organisation mondiale dans ce domaine © Alain Herzog

Grand spécialiste mondial des aérosols, Athanasios Nenes vient d’être élu fellow de l’Union américaine de Géophysique, un titre particulièrement honorifique. Passionné par la recherche et la transmission de son savoir, le professeur à l’EPFL est profondément engagé dans l’étude des particules atmosphériques et leur impact sur la santé, le climat et les écosystèmes. Autant de thématiques qui n’ont jamais autant résonné dans l’actualité.

Entre les deux vagues de la pandémie de Covid-19 cet été, 239 scientifiques publient une lettre ouverte alertant sur la propagation aéroportée du virus. Une évidence pour l’un des signataires, Athanasios Nenes. Grand spécialiste des aérosols, ces particules microscopiques en suspension dans l’air dont on soupçonne qu’elles sont un facteur important de la transmission du coronavirus, il fait partie de ceux qui travaillent à faire comprendre leur rôle dans l’environnement.

« Les particules sont impliquées dans presque tous les processus atmosphériques et ont toutes sortes d’impacts sur la formation des nuages, le climat, les écosystèmes, la santé », explique le professeur à l’EPFL et directeur du Laboratoire des Processus Atmosphériques et leurs Impacts. Devant son mur blanc inondé de soleil et surplombé de bougainvilliers, le chercheur arriverait presque à faire croire qu’il accorde un entretien depuis sa Grèce natale. C’est sans compter son pull à capuche vintage de l’EPFL bardé du nom de la ville où il s’est installé en 2018, Lausanne, et ces petits bugs d’écran qui trahissent l’utilisation d’un fond d’écran digital. « J’y étais jusqu’à récemment, mais je suis rentré en Suisse juste à temps avant le reconfinement ! » confie le scientifique qui gère aussi une équipe au Centre d’études de la qualité de l’air et du changement climatique à la Fondation pour la recherche et la technologie (FORTH) de Patras, à 200 km d’Athènes.

Depuis plus de 20 ans, Athanasios Nenes s’attelle à étudier comment les aérosols provenant de la combustion de la biomasse, de la pollution, de la poussière, des embruns et d'autres sources dans l'air interagissent avec les nuages, affectent la qualité de l'air et apportent des nutriments aux écosystèmes éloignés. Plus récemment, il s'est intéressé à l'importance et aux effets des particules biologiques et des virus. Ses recherches lui font passer beaucoup de temps autour et au-dessus du monde, des tropiques à l'Arctique, dans les nuages de pollution, le beau temps ou les ouragans.

A bord d'un avion équipé d'instruments de mesure de concentration des particules, pour collecter des données. © A. Nenes

Membre de nombreuses organisations et groupes de travail, président actif de la section des sciences atmosphériques de l'Union européenne des géosciences, c'est aussi un vétéran des salles de conférence. Les domaines d’applications de ses recherches sont si vastes que le chercheur est aux premières loges pour analyser la plupart des grands évènements climatiques et sanitaires mondiaux. 

>> Pour découvrir plus en détail les recherches d’Athanasios Nenes, rendez-vous sur cet article

« Un immense honneur »

L’étendue de son expertise est largement reconnue par ses pairs. Le 18 novembre, le scientifique a été inclus dans la liste des chercheurs les plus cités par le Web of Science. Mais surtout, il a été élu le même jour « fellow » de l’Union américaine de géophysique, la plus importante organisation mondiale dans ce domaine. « C'est un immense honneur. Recevoir un tel prix signifie beaucoup, car votre communauté vous reconnaît comme quelqu'un qui a fait quelque chose de spécial. C'est une expérience qui rend humble, et en même temps, elle est énergisante », lâche-t-il en souriant. 

De l’énergie, Athanasios Nenes en a besoin dans ses recherches qui touchent à certains des problèmes les plus importants et les plus urgents auxquels le monde est confronté aujourd'hui - notamment le rôle des virus aériens dans la transmission de la grippe, du COVID-19 et d'autres maladies. « Avant l'apparition du coronavirus, nous savions déjà que les virus peuvent se transmettre par l’air et jouer un rôle majeur dans le processus de transmission. Seulement, la communauté médicale et l’OMS étaient très réticents à le reconnaitre. Maintenant c’est un sujet très chaud ! Nous vivons à une époque où il faut écouter la science. Mais les politiciens, et la population en général, ne le font pas assez », affirme-t-il sans se départir de son enthousiasme contagieux.

Un professeur qui n’a pas peur de se salir les mains. Ici en préparation d’une étude sur l’impact de l’acidité atmosphérique sur le dépôt des macronutriments à la propriété « Les Bois Chamblard », à Buchillon © A.Nenes

Apporter la reconnaissance

Après avoir passé une bonne partie de sa carrière aux États-Unis, celui que tout le monde surnomme Thanos dans les couloirs de l’EPFL - rien à voir avec le super-vilain de l’univers Marvel, il rassure, il ne veut pas détruire l’univers - a vite trouvé ses marques, et s’implique dans une multitude de projets interdisciplinaires. Pas étonnant pour un homme qui, passionné de piano, préfère pratiquer la musique de chambre où l’œuvre n’existe que dans l’harmonie et la symbiose entre chaque instrumentiste.

Associé à d’autres professeurs comme Andrew Barry ou Anders Meibom, il parcourt les différents laboratoires de la Faculté de l’Environnement naturel, architectural et construit (ENAC) pour pister les étudiants et jeunes chercheurs au fort potentiel, et les recommander pour des prix. Avec toujours, en toile de fond, cette volonté de valoriser et rendre visible le travail scientifique.

Aux États-Unis, il y a une très forte culture de promotion des personnes remarquables. C’est moins le cas en Europe, peut-être aussi parce que la barre est placée trop haut. C’est pourquoi nous nous efforçons, en tant que scientifiques senior, d'apporter une plus grande reconnaissance à cette faculté exceptionnelle et aux étudiants que nous avons

Athanasios Nenes

Éveiller les consciences

L’investissement de ce père de famille, qui évoque son amour pour son épouse et ses enfants dès qu’il en a l’occasion, se traduit aussi par son combat personnel à éveiller les consciences face au changement climatique. « Pour le virus, les choses reviendront à la normale quand un vaccin sera découvert. Le système s’adapte, on aura moins de mal à porter un masque si nécessaire. Mais la problématique du climat, c’est tout autre chose. Dans les décennies à venir, elle ne fera qu’empirer. On sait ce qui arrive, mais il n’y a pas assez d’actions pour lutter contre. C’est pourtant de loin le plus gros défi qui nous attend. »

>> Pour aller plus loin : «Les grands feux de forêt menacent notre santé»

Athanasios Nenes se rassure peut-être en voyant le grand intérêt, chez ses « fantastiques » étudiants en bachelor à l’EPFL, pour les thématiques de la qualité de l’air et du changement climatique. Encore une corde à l’arc d’un scientifique qui, à défaut d’être immortel comme son nom le suggère en grec, élabore et transmet un savoir qui ne manquera pas de prendre beaucoup de place chez les générations futures.