«Nous devons penser en amont aux conséquences de nos décisions»

Laura Ferrarello, collaboratrice scientifique au sein du Laboratoire HERUS © EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0
Laura Ferrarello est de celles qui veulent faire bouger les choses en poussant à la réflexion. Dès la rentrée, elle mettra au défi les doctorantes et doctorants qui suivront son cours sur l’éthique dans la recherche en ingénierie.
Si Laura Ferrarello sait où elle veut aller, elle ne fonce pas tête baissée. «Peu importe ce que l’on fait, nos décisions auront un impact», prévient la chercheuse et collaboratrice scientifique au sein du Laboratoire HERUS (Faculté ENAC). «Nous devons donc penser en amont à leurs conséquences».
Sans doute y a-t-elle déjà pensé au moment de choisir ses études supérieures, quittant sa Sicile natale pour suivre les traces de son père, alors architecte. Elle entame un Bachelor en architecture à l’Université de Rome, puis bascule dans le monde du design. «Je suis fascinée par la manière dont l’humain interagit avec les objets qui l’entourent et par les dynamiques sociales. Je suis donc passée de la gestion de l’espace à quelque chose de plus intime.» Son expérience au sein de bureaux d’architecture et de design lui permet de comprendre la réalité du terrain: «L'innovation doit être considérée comme l’une des causes des défis auxquels nous sommes confrontés. Et malheureusement, lorsque nous sommes sur un projet avec des délais précis, nous n’avons pas le temps de penser aux questions éthiques», explique-t-elle.
Aujourd’hui, sa spécialisation va donc au-delà de la pratique du design. «La discipline a évolué», précise-t-elle. «On est passés de la conception d’objets, à la conception d’expériences et de services pour arriver à la conception de systèmes.»
Une autre perspective peut changer la donne
Dans le système de Laura Ferrarello, les êtres humains sont essentiels et la prise de décision est guidée par l’éthique. Ici, on s’éloigne de l’éthique au sens purement philosophique. C’est l’approche méthodologique qui prime, celle qui questionne nos actions et replace les conséquences de nos décisions au sein d’un écosystème complexe. La chercheuse souligne que «l’on doit avoir une approche holistique et prendre en compte tout un tas de paramètres: l’idée, les citoyens, le budget, la technologie, l’environnement, les ressources… pour que l’innovation profite à la société».
Pendant neuf ans, la scientifique enseigne la recherche en design pour des élèves en Master au Royal College of Art à Londres. Ce concept d’innovation éthique, elle l’intègre peu à peu au sein de son enseignement et en fait même un cours en ligne (https://www.futurelearn.com/courses/ethical-innovator). Voulant se rapprocher de la nature, elle fait le pas de quitter Le Grand Brouillard pour le Valais en début d’année et débute son aventure à l’EPFL en mars avec l’ambition d’adapter ce cours au monde EPFLien.
Mission accomplie puisque le cours de compétences transverses «The practice of ethics in engineering research» formera des doctorantes et doctorants dès la rentrée. Séminaires, ateliers et discussions attendent les volontaires, qui pourront se questionner sur les défis éthiques posés par leur recherche et innover de manière durable et inclusive. Laura Ferrarello illustre: «Imaginons que je conçoive un algorithme basé sur un certain type de données. En me posant les bonnes questions, je réalise qu’une certaine partie de la population est désavantagée. Que puis-je mettre en place pour éviter ceci?»
Ce qui compte ce n’est pas seulement le résultat, mais aussi la réflexion pendant le processus créatif.
Donner les moyens d’agir
Laura Ferrarello confie qu’après avoir introduit le concept d’éthique dans ses cours de Master au RCA, elle a pu voir des changements dans la manière dont les élèves pensaient. Pour elle, cela ne limite pas leur créativité et leur capacité à sortir du cadre mais leur permet de se poser des questions différentes afin de faire émerger de nouvelles idées.
Dans la même veine, Laura Ferrarello travaille sur un projet visant à créer une plateforme pour améliorer le dialogue entre la science et la politique dans le domaine de la transition énergétique. Et en dehors des salles de classe et du labo, elle co-écrit un livre destiné à aider les communautés à devenir plus durables en utilisant des exemples tirés du monde de la conception. En bref, elle donne à toutes et à tous, jusqu’aux sphères politiques, les moyens d’agir.
«Le langage peut rééquilibrer le pouvoir»
Quand on demande à la scientifique comment elle se sent en tant que femme dans le monde de la recherche, elle admet que c’est un défi mais ne se trouve pas d’excuse pour autant. Elle évoque tout d’abord notre façon presque naturelle d’attribuer un genre – souvent masculin – à certains mots et la nécessité de sortir de ces vieux réflexes. «Il faut aussi que nous, les femmes, nous nous affirmions davantage dans notre manière de communiquer», dit-elle. «Toute la dynamique change lorsque l’on montre plus d’assurance. Nous méritons nos places, donc ne nous excusons pas d’être là!» Avant de conclure: «Être chercheuse est quelque chose qui ne finit jamais. C’est dans le sang.»