« Nous avons une mission vis-à-vis de la Suisse et de la planète »

Lyesse Laloui au Laboratoire de mécanique des sols. © Alain Herzog

Lyesse Laloui au Laboratoire de mécanique des sols. © Alain Herzog

Le professeur Lyesse Laloui, directeur du Laboratoire de mécanique des sols de l’EPFL et de la Section de Génie civil, a été élu en janvier membre de l’Académie suisse des sciences techniques. Une consécration pour cet ingénieur touche-à-tout, qui a fait de l’interdisciplinarité l’un des atouts de ses nombreuses recherches en géomécanique dans les domaines de l’environnement, des énergies renouvelables, ou encore du stockage du CO2.

Au second étage du bâtiment « Génie Civil » de l’EPFL, un trombinoscope affiché en bonne place présente les visages enjoués des 29 membres du Laboratoire de mécanique des sols (LMS). C’est « L’équipe du Prof. Laloui », le directeur du LMS, qui s’est entouré de collaboratrices et collaborateurs dévoués et passionnés, comme lui, par leur travail. Une nécessité pour l’ingénieur en géomécanique, engagé à fond dans une multitude de projets interdisciplinaires qui lui demandent une attention de tous les instants. 

Fondateur et codirigeant de plusieurs start-ups, auteur d’une dizaine de livres, directeur de la Section de Génie civil de l’EPFL ou encore, jusqu’à récemment, professeur dans deux autres universités, aux États-Unis et en Chine… Difficile d’imaginer, de l’extérieur, comment Lyesse Laloui parvient à être si investi dans plusieurs directions sans jamais perdre le nord. « Il n’y a pas de miracle, le volume de travail est considérable ! sourit-il. Il faut aussi être bien entouré, avoir des équipes efficaces, qui s’engagent autant qu’on s’engage soi-même. Ça m’aide beaucoup d’avoir ce genre de personnes qui m’entourent. Seul, je ne pourrais pas y arriver. »

Précurseur dans son domaine

Arrivé en Suisse en 1994 avec une thèse en mécanique des sols obtenue à l’École centrale de Paris, Lyesse Laloui, natif de Skikda en Algérie, n’a plus quitté les rives du lac Léman. A l’EPFL, où il est devenu professeur titulaire en 2006, il a développé au fil des années ses propres axes de recherche dans des domaines divers et s’est vite fait connaître come un précurseur dans de nombreux domaines, doublé d’un bourreau du travail. « C’est la personne la plus ‘hard worker’ que je connaisse. Il a la capacité de développer un volume incroyable de travail », confie le Dr. Alessio Ferrari, adjoint scientifique du LMS et collègue depuis plus de dix ans de Lyesse Laloui. « Discuter avec lui de la mécanique des sols, c’est être projeté dans le futur de notre discipline. Quand je suis arrivé à l’EPFL, j’ai entendu parler pour la première fois, avec lui, de thèmes qui sont aujourd’hui parmi les plus avancés de notre domaine. »

Lyesse Laloui su rle campus de l'EPFL. © ZUZANNA ADAMCZEWSKA-BOLLE

Lyesse Laloui a notamment été parmi les premiers à s’intéresser, pendant ses études à Paris, à l’enfouissement des déchets nucléaires. Il a aussi développé des recherches novatrices sur la séquestration souterraine du CO2, qui permet de capter et maintenir dans des couches géologiques hermétiques les émissions anthropiques de ce gaz à effet de serre. Toujours dans l’interdisciplinarité, il travaille aussi avec son groupe sur la production d’énergie grâce à la géothermie et la technologie des géostructures énergétiques, permettant aux bâtiments de générer leurs propres besoins. 

Fibre multidisciplinaire

« Nous avons une mission vis-à-vis de la Suisse, mais aussi de la planète », affirme Lyesse Laloui. Sensible aux problématiques environnementales, il a développé des axes de recherche sur les technologies permettant d’éviter les pollutions ou, à défaut, de mieux les gérer. « Nous avons inventé un bio-ciment qui a les caractéristiques mécaniques et la même résistance que le ciment conventionnel, sauf qu’il est produit avec des bactéries, sans émissions de CO2, et qu’il est plus efficace, avec une prise rapide », explique-t-il. La start-up de l’EPFL Medusoil qu’il a fondé pour la production de ce bio-ciment vient d’ailleurs de lever deux millions de Francs pour étendre ses activités. Enfin, le chercheur s’intéresse aux dangers naturels comme les glissements de terrain, les coulées de débris ou la stabilité des pentes, thématiques bien présentes en Suisse. « Il a fait l’agenda, au niveau international, des sujets dans notre discipline. Et je ne dis pas ça parce que je travaille aussi à l’EPFL ! », plaisante Alessio Ferrari.

Avec sa fibre multidisciplinaire, parfois bien loin du génie civil, Lyesse Laloui a été élu en janvier membre de la prestigieuse Académie suisse des sciences techniques, une consécration pour sa carrière. « Quand je l’ai appris, j’étais extrêmement flatté et honoré. Cela va me permettre de m’investir dans les activités de l’Académie pour apporter une opinion scientifique sur des sujets importants pour la société, mais aussi contribuer à faire émerger un intérêt chez les jeunes générations pour la science et la technique. » Il y a selon lui un grand travail de sensibilisation à faire dans les gymnases suisses, notamment avec les filles « qui sont parmi les meilleures, si ce n’est les meilleures ». « Il faut aller à la source, par exemple chez ceux pour qui le cadre familial n’a pas permis d’entendre parler de l’activité d’un ingénieur, comme dans les milieux modestes. C’est très important pour moi », confie-t-il.

« Très professionnel mais aussi très humain »

Il n’y a pas que les idées du professeur qui bougent en permanence. Avant la pandémie, il était lui-même constamment en mouvement, pour des projets ou des conférences. « Il voyageait tout le temps. Un jour aux États-Unis, l'autre en Chine ! Cela fait qu’on reçoit parfois des emails à 4h du matin, envoyés depuis un autre coin du monde », décrit la Dr. Eleni Stavropoulou, l’une de ses post-doctorantes. Arrivée il y a un an dans l’équipe du prof. Laloui, elle souligne la dévotion de l’homme pour son équipe qui, fait peu courant en génie civil, compte presque autant de femmes que d’hommes. « Il est très professionnel, mais en même temps très humain : il n’hésite pas à donner plusieurs options de développement individuel à chaque membre de son groupe. »

Derrière le scientifique de renom souvent en costard et passionné d’équations compliquées se trouve, selon son équipe, une personnalité très ouverte, qui prend le temps de connaitre personnellement ses collaborateurs et collaboratrices en les amenant voir des matches de hockey ou visiter des réserves naturelles en Chine. Autant d’activités qui lui laissent peu de temps libre au père de deux enfants. « J’aime bien aller skier ou être au bord de la plage quand j’ai le temps. Mais avec le travail et la famille, il reste peu de choses. Je suis passionné par mon travail, c’est une grande chance de pouvoir faire quelque chose qu’on aime, où on ne s’ennuie jamais, et de pouvoir consacrer le reste du temps à sa famille », lâche le scientifique dans un grand sourire, révélant une partie du secret de sa force de travail.