Modéliser la mémoire dans le cerveau

© 2015 EPFL

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Des chercheurs de l’EPFL ont découvert les équations mathématiques cachées derrière la façon dont le cerveau crée – et perd – ses souvenirs.

La mémoire est un élément crucial de la vie. Sans elle, impossible d’apprendre. Et sans apprentissage, pas d’invention, de progrès, de civilisation. D’un autre côté, oublier certaines expériences, surtout traumatisantes, peut aider à retrouver une santé mentale et les fonctions qui s’y rapportent. La clé de tout ceci réside dans la compréhension de la façon dont le cerveau crée des souvenirs, les retient et se les remémore au besoin. Or, des scientifiques de l’EPFL ont développé un modèle mathématique pour décrire de quelle manière les réseaux de neurones génèrent la mémoire. Publié dans Nature Communications, ce modèle pourrait clarifier des théories de longue date de formation des souvenirs, et modifier la façon dont nous comprenons, simulons et même altérons la formation de la mémoire.

« Fire together, wire together »

Les neurones génèrent des réseaux par le biais de connexions spécialisées appelées « synapses ». Un neurone qui envoie un signal via une synapse est dit « présynaptique », un neurone qui le reçoit « postsynaptique ». Les synapses ont une plasticité élevée et permettent aux neurones de changer leur vitesse et leur intensité de communication. La plasticité synaptique est aujourd’hui considérée comme la base de notre apprentissage et de la formation de notre mémoire.

La théorie dominante de plasticité synaptique, baptisée d’après Donald Hebb, un éminent neuroscientifique, stipule qu’une synapse devient plus forte lorsque le neurone présynaptique décharge de façon répétée et stimule son homologue postsynaptique pour qu’il décharge aussi. Dans ces synapses hebbiennes, les neurones qui déchargent ensemble se lient entre elles (« fire together, wire together »). Toutefois, un tel modèle de plasticité n’est pas capable de simuler avec précision la formation de la mémoire, car il ne prend pas en compte des facteurs biologiques externes - et toutes les synapses ne sont pas hebbiennes.

Un modèle réaliste de mémoire

Or, une équipe de recherche menée par Wolfram Gerstner de l’EPFL a désormais développé un modèle de plasticité hebbienne qui réussit là où ses prédécesseurs ont tous échoué. Les scientifiques se sont intéressés à la formation de ce que l’on appelle « assemblages mémoriels », soit des réseaux de neurones connectés à travers des synapses qui peuvent stocker un segment donné de mémoire. Quand un souvenir est ravivé, ses assemblages spécifiques reconstituent son tout.

Les chercheurs ont utilisé un modèle de réseau neuronal de troisième génération appelé « réseau de neurones impulsionnels» (RNI). Lorsqu’un neurone lance un signal (une impulsion) dans un RNI, celui-ci voyage jusqu’aux autres neurones, qui y répondent de façon adapté en augmentant ou en diminuant leur propre capacité à lancer un signal, et donc en renforçant ou en affaiblissant la connexion.

A synapses différentes, délais différents

L’équipe de Gerstner a simulé des centaines de RNI afin d’explorer les différents types de synapses et les multiples formes de plasticité synaptique à des laps de temps variés. Les simulations obtenues suggèrent que la formation de la mémoire et son activation constituent une combinaison bien orchestrée de règles hebbiennes et non hebbiennes de plasticité synaptique. En d’autres termes, la formation des assemblages de mémoire ne dépend pas seulement de signaux provenant du neurone présynaptique, mais également de l’apport de neurones externes qui modulent indirectement la force de la synapse.

Le temps est également un composant clé de cette stimulation. Une fois la mémoire assemblée, les souvenirs ont pu être réactivés des jours après en excitant de façon sélective l’activité de neurones spécifiques dans l’assemblage mémoriel. En général, le modèle des chercheurs suggère que la grande diversité de plasticité synaptique du cerveau (hebbienne ou non, ou même d’autres types) est clairement « orchestrée pour atteindre des objectifs fonctionnels communs ».

Les scientifiques ont pu dériver un algorithme complexe de ces résultats, qui est aujourd’hui la représentation la plus précise de ce phénomène complexe. Cet algorithme peut être adapté pour aider à développer les prochaines simulations de formation et d’activation des souvenirs, qui seront susceptibles d’améliorer notre connaissance globale du cerveau. En outre, ces découvertes pourront influencer nos stratégies de traitement de souvenirs traumatiques et même améliorer l’éducation. « Si nous comprenons comment les synapses collaborent pour forger ou démanteler des réseaux mémoriels, nous ferons progresser des domaines comme la cognition et la psychothérapie, » déclare Gerstner.

Cette étude a été financée par le septième programme-cadre de la Communauté Européenne en accord avec FACETS-ITN, BrainScales et le projet Human Brain, ainsi que par le Conseil européen de la recherche dans le cadre d’un accord de subvention avec MultiRules. Des fonds supplémentaires ont été versés par l’agence brésilienne CAPES à travers l’Université fédérale du Rio Grande do Sul (Brésil).

Source

Zenke F, Agnes EJ, Gerstner W. Diverse synaptic plasticity mechanisms orchestrated to form and retrieve memories in spiking neural networks.Nature Communications 6:6922, 21 April 2015. DOI:10.1038/ncomms7922