“Même si l'heure est sombre, il reste des possibilités d'agir”

© 2013 Alain Herzog

© 2013 Alain Herzog

Durant quatre décennies, Raymond Bradley, climatologue distingué, a parcouru le monde pour étudier le climat et son évolution. Rencontré autour de thèmes tels que la politique, l’environnement et les téléphones mobiles, qui offrent de nouvelles opportunités.

Des tentatives d’intimidation, Raymond Bradley en a subi sa part. Plusieurs années après avoir co-signé une étude scientifique appuyant l’idée que les émissions de carbone issues de l’activité humaine étaient la cause du réchauffement climatique, il a été mis sous les feux de l’actualité par des politiciens bien décidés à le contredire, à l’intimider et à ternir sa réputation. Il en est ressorti sans égratignures et surtout d’autant plus résolu à poursuivre ses recherches pour comprendre les évolutions passées ou présentes du climat. Ce mardi 26 mars, il était invité par la Chaire Landolt & Cie "Stratégies innovatrices pour un futur durable" à donner une conférence à l’EPFL.

- Vous avez été confronté il y a quelques années à de féroces climato-sceptiques. Comment répondez-vous à leurs attaques aujourd’hui?

Autrefois, je débattais beaucoup avec eux, mais je me suis rendu compte que c’était peine perdue. Il reste aujourd’hui un petit nombre de gens qui ne seront jamais convaincus, parce qu’ils se sont fait une philosophie de ne pas prendre en compte les mêmes faits et ni voir les mêmes choses que la majorité. Maintenant, je me consacre surtout à convaincre des personnes plus raisonnables et qui se sentent concernées. Je ne vais plus perdre mon temps avec ceux qui pensent mieux connaître la réalité que moi-même. Des études ont été menées aux Etats-Unis sur le niveau de connaissance et de compréhension qu’a la population du changement climatique. Elles ont divisé les sondés en trois camps: les démocrates, les républicains et les membres du Tea Party (ndlr: mouvement fortement traditionnaliste, s’opposant à l’Etat fédéral). Ces derniers ont essentiellement répondu qu’ils estimaient avoir déjà eu suffisamment d’informations pour se faire une opinion…

- Quel message voudriez-vous principalement transmettre à ceux qui vous écoutent ?

J’ai appelé ma conférence «L’urgence extrême du moment», en référence à une phrase qu’avait lancée Martin Luther King, lorsqu’il parlait du besoin pressant d’instaurer les droits civiques dans les années 1960. En ce qui concerne les problèmes environnementaux auxquels le monde doit faire face, je pense que nous sommes dans une urgence similaire et que nous devons agir maintenant. Nous ne pouvons plus attendre. Mais les vraies questions ne sont plus d’ordre scientifique ou technologique – elles sont politiques. Nous sommes confrontés à des problèmes engendrés par la manière dont la population a augmenté et les habitudes de consommation ont évolué et impacté la planète, touchant aussi bien notre atmosphère, les zones enneigées ou encore l’acidité des océans. Nous avons une bonne connaissance de ces sujets, nous avons des solutions technologiques, mais nous manquons de gens pour prendre la tête de cette cause.

- Souhaiteriez-vous que les Etats-Unis prennent ce rôle de leader dans la lutte contre le changement climatique?

Ils doivent le faire. Tout d’abord parce que les Etats-Unis sont responsables d’une grande partie de la pollution atmosphérique, et ce à l’échelle globale. Et puis, parce que nous avons la technologie qui permet de résoudre ces problèmes. De nombreux pays attendent donc que les USA mènent cette lutte. Beaucoup de gens décrivent Barak Obama comme le leader du monde libre. Il doit donc également être le leader du mouvement en faveur de l’environnement.

- Votre conférence est un appel à l’action immédiate. Combien de temps reste-t-il, selon vous, avant que le changement ne devienne irréversible?

Oh, je pense que nous avons déjà atteint un certain seuil de non-retour. Le processus de réchauffement est déjà lancé. Les deux ou trois degrés celsius supplémentaires, prédits par l’Union européenne, sont déjà une réalité et on ne peut pas revenir en arrière. Cela signifie que le niveau des mers va monter de manière inexorable. Maintenant, il s’agit d’anticiper et de s’adapter. Dans le même temps, il s’agit également de tout faire pour qu’il n’y ait pas encore davantage de nuisances.

- Au niveau politique, devons-nous attendre de grands changements des gouvernements?

Aux Etats-Unis, c’est avant tout un mouvement provenant de la base. Les individus, les petites villes ou les communautés plus larges ont toutes leur plan d’action, qui met l’accent sur le recyclage, les économies d’énergie, etc. Certains états, comme le Massachusetts ou la Californie, sont des précurseurs en matière d’énergie durable. D’autres se profilent dans l’énergie éolienne. C’est ironiquement le cas du Texas, les paysans des communautés rurales trouvant un intérêt tant pratique que financier à l’installation d’éoliennes. Ce mouvement allant du bas au haut aura un impact, car l’industrie déteste se trouver face à un patchwork de régulations. Ils ne veulent pas que les états aient tous des standards différents. Donc, dans une certaine mesure, ce sont les industries qui mettront la pression sur le système politique pour l’établissement d’un standard national.

- Est-ce suffisant pour limiter les émissions de CO2?

Technologiquement parlant, je suis un optimiste. Regardez ce qu’il se passe à l’EPFL, à l’Université du Massachusetts et ailleurs. Des gens travaillent sur toutes sortes d’idées incroyables pour créer des voitures consommant moins d’essence ou de nouvelles manières de produire de l’énergie solaire. Il y a six ans, j’ai fait construire une maison et ai mis, sur le toit, six panneaux solaires pouvant chacun générer 180 watts. Aujourd’hui, ils pourraient aller jusqu’ 320 watts. Une avancée qui n’a pris que cinq ans. Qui sait ce qu’il sera possible dans dix ans – peut-être que nous arriverons à un kilowatt? Le rythme des changements technologiques est étonnant et rend difficile d’imaginer ce que sera notre paysage énergétique dans une vingtaine d’années. L’heure est plutôt au pessimisme, mais il reste bien des possibilités d’agir.

- Vous ne croyez donc pas en un changement de comportement en matière de consommation?

Si, je pense que ce comportement est en train de changer. Avant, il suffisait d’actionner un bouton sans trop réfléchir pour allumer ou éteindre la lumière. Maintenant, quand vous encouragez par exemple des gens à mettre des panneaux solaires sur leur toit, vous leur donnez l’occasion de penser à la façon de consommer l’énergie. Et quand ces personnes se mettent à produire leur propre électricité, ils font beaucoup plus attention à la manière de l’utiliser.

- Que faut-il pour persuader les populations que le climat est bel et bien en train de changer?

Je crois qu’elles commencent à en être conscientes. Ce changement a déjà des conséquences dévastatrices, qui apparaissent maintenant dans les résultats des firmes de réassurance Munich RE ou Swiss RE. Et ces rapports ne sont pas le fruit d’environnementalistes purs et durs, mais d’hommes d’affaires, qui voient ainsi des problèmes émerger et leur coûter de l’argent. Les particuliers peuvent le voir aussi. Il y a eu, récemment, un certain nombre d’événements désastreux, que je n’attribuerais pas forcément au réchauffement climatique. Mais lorsque ceux-ci surviennent désormais régulièrement en des endroits où ils ne se produisaient pas jusque là, le public devance la communauté scientifique et commence à faire des liens. Il sent que ce n’est pas normal, qu’il se passe quelque chose. C’est ainsi que les gens prennent conscience du phénomène.

- Quels autres moyens existe-t-il pour rendre le public encore plus conscient?

A une échelle internationale, je dirais que l’existence des téléphones mobiles est une véritable opportunité. Pendant longtemps, les peuples de nombreux pays n’avaient tout simplement pas de voix. Ils étouffaient sous la pollution, mais n’avaient pas la possibilité de lancer un mouvement contre cette situation. Nous l’avons vu avec l’exemple du printemps arabe, la possibilité de passer par Facebook, Twitter et d’autres applications permet de mobiliser les gens. Avec six milliards de téléphones mobiles sur la planète, la population a un moyen de se faire entendre dont elle ne disposait pas il y a dix ans. Cela signifie que l’on peut non seulement voir ce qu’il se passe dans sa propre communauté, mais également dans le reste du monde. Je pense que ça change tout et que c’est une révolution.

-Vous êtes donc optimiste?

Nous devons rester optimiste. Nous avons des problèmes, mais je suis persuadé qu’il y a de l’espoir. Nous ne pouvons pas baisser les bras. Nous ne pouvons pas être la génération qui fait tout capoter.


Auteur: Jan Overney

Source: EPFL