Maryna Viazovska, exploratrice de dimensions mathématiques

Maryna Viasovska manie les dimensions mathématiques comment on fait des puzzles. ©Alain Herzog/EPFL

Maryna Viasovska manie les dimensions mathématiques comment on fait des puzzles. ©Alain Herzog/EPFL

Série d'été: Vocation chercheur. Titulaire de la Chaire d’arithmétique à l’EPFL, Maryna Viazovska a résolu le problème de l’empilement de sphères en dimensions 8 et 24.

Quand on parle avec Maryna Viazovska, on a l’impression de ne pas faire partie de la même espèce. Elle manie les dimensions mathématiques comment on fait des puzzles. Pour elle, le problème de l’empilement de sphères en dimensions 8 et 24 correspondrait peut-être à un 30 000 pièces pour un cerveau humain standard… La titulaire de la Chaire d’arithmétique à l’EPFL s’y est attelé avec brio, élégance et succès. A 35 ans, Maryna Viazovska est ainsi l’une des mathématiciennes les plus brillantes et les plus reconnues de son domaine, la théorie des nombres.

Pour la native de Kiev, les mathématiques ont toujours été une évidence. «J’aime les mathématiques depuis l’école. Cela m’a toujours semblé la matière la plus claire. Et comme j’aimais, je passais plus de temps dessus, donc je suis devenue meilleure en maths qu’en d’autres matières. Donc je les aimais encore davantage et… ainsi de suite». Au fil de sa carrière, elle s’enfonce dans l’exploration des dimensions les plus fascinantes de sa discipline. Au-delà des solutions, dans les mathématiques pures, c’est comprendre les choses qui la fascinent «afin de les relier à d’autres problèmes.»

Alors post doctorante à la Berlin Mathematical School et à l'Université Humboldt de Berlin, elle empoigne une question qui turlupine les mathématiciens depuis déjà plus de quatre siècles : comment empiler des sphères avec un minimum de vide entre elles. C’est en 1611 précisément que Johannes Kepler a suggéré, sans toutefois le prouver, que dans un espace en trois dimensions, la forme pyramidale est optimale. Il a fallu attendre 1998, pour que la preuve en soit faite.

Élégance et optimalité

La 3D résolue, il était temps de passer aux autres dimensions. «La difficulté est que chaque dimension est différente et les solutions optimales dépendent beaucoup de la dimension», avance Maryna Viazovska. Pourquoi s’intéresser aux dimensions 8 et 24 ? «Parce que les solutions y sont particulièrement élégantes et que ce sont des dimensions spéciales», répond énigmatique la chercheuse. En effet, les empilements de sphères s’y font de façon remarquablement symétrique, suivant des réseaux respectivement appelés E8 et réseau de Leech. On est proche de la perfection en matière d’optimisation, à un milliardième de pour cent près, concluent les travaux de Henry Cohn et Noam Elkies, mathématiciens de Cambridge, aux Etats-Unis.

Mais comment le prouver, s’est naturellement interrogée Maryna Viasovska, présupposant qu’il existe une fonction auxiliaire capable de donner la réponse exacte et correspondant aux densités de E8 et du réseau de Leech. La mathématicienne puise la réponse dans les formes modulaires, son sujet de thèse. Les formes modulaires sont des fonctions mathématiques qui possèdent une symétrie particulière. Après deux ans d’efforts, emprunts de créativité et d’intuition, elle décroche la bonne fonction. Ses travaux paraissent en mars 2016. La démonstration prend 23 pages. Limpide pour les mathématiciens. Absconde pour les profanes. Dans la foulée, Henry Cohn la félicite et lui suggère d’étendre la méthode à la dimension 24 pour le réseau de Leech. Une semaine plus tard, Viasovska, Cohn et deux autres collègues mettent en ligne un théorème analogue pour la dimension 24.

Encore une part de mystère

Cette démonstration suscite une vague d’enthousiasme dans la communauté des mathématiciens et lui vaut depuis nombre de distinctions prestigieuses listées sur sa page Wikipédia. Celle-ci possède même une version (courte) en hindi. En décembre 2016, Maryna Viasozvka choisit de rejoindre l’EPFL, en tant que professeur assistante tenure-track. A peine un an plus tard, en janvier 2018, elle est nommée professeure ordinaire. «J’y apprécie particulièrement qu’il n’y ait pas seulement des mathématiques pures, mais aussi beaucoup de gens qui travaillent dans des domaines très appliqués.» Preuve qu’elle garde les pieds sur terre.

Aujourd’hui, la professeure travaille toujours sur les dimensions 8 et 24, en approfondissant la question de l’empilement des sphères, mais aussi l’«optimalité universelle» de E8 et du réseau de Leech. «Ces configurations apparaissent dans d’autres problèmes d’optimisation ou de questions combinatoires. Ils semblent qu’on les y retrouve, car elles sont toujours les meilleures, pas seulement pour empiler des sphères, mais en matière de dépense d’énergie par exemple. Ce qui est une situation assez inhabituelle.» Et reste à savoir pourquoi.

Bio
1984 : naissance à Kiev
2013 : doctorat à l’Université de Bonn
2016 : résout le problème d'empilement compact en dimensions 8 puis 24
2016 : professeur tenure-track à l’EPFL
2018 : nommée professeur ordinaire à l’EPFL