Les protéines qui ont domestiqué nos génomes

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Des scientifiques de l'EPFL ont conduit une étude génomique et évolutionnaire sur une famille de protéines humaines vaste et énigmatique, démontrant qu'elle est responsable de la mise en œuvre de millions d'éléments transposables dans le génome humain. Ce travail révèle les réseaux de régulation génique, largement spécifiques à l'espèce, qui impactent l'ensemble de la biologie humaine, aussi bien dans la santé que dans la maladie.

Le génome humain contient des milliers de séquences dérivées d'éléments dits transposables, des unités génétiques qui se sont propagées au sein du génome de nos ancètres depuis la nuit des temps. Longuement considérés comme de l'ADN poubelle (junk DNA), les éléments transposables sont de plus en plus reconnus comme ayant une influence sur l'expression de nos gènes. Toutefois, l'ampleur de cette régulation et la manière dont elle est mise en œuvre restaient inconnues jusqu'ici. Des scientifiques de l'EPFL viennent de réaliser la première étude en profondeur d'une famille d'environ 350 protéines humaines, retraçant l'histoire de leur évolution et démontrant qu'elles établissent une interaction complexe avec des éléments transposables pour créer des réseaux de régulation des gènes largement spécifiques à l'humain. Publié dans Nature, ce travail ouvre une nouvelle dimension pour la génétique et la médecine.

Le laboratoire de Didier Trono à l'EPFL a révélé, voici quelques années, qu'une protéine servant de cofacteur à nombre de KZFP (des protéines KRAB à doigts de zinc) était impliquée dans l'inhibition des éléments transposables durant les premiers jours de l'embryogenèse. Trono et ses collaborateurs viennent de mener une analyse approfondie des KZFP humains, en retraçant leur histoire évolutionnaire et en identifiant leurs cibles génomiques.

Les scientifiques ont combiné la phylogénétique – l'étude des relations évolutionnaires entre différentes espèces, avec la génomique – l'étude de la manière dont le génome d'un organisme conditionne sa biologie. En comparant le génome de 203 vertébrés, ils ont premièrement fait remonter l'origine des KZFP à un ancêtre commun des tétrapodes (animaux à quatre pattes) et du cœlacanthe, un poisson qui évoluait il y a plus de 400 millions d'années. Cette conservation évolutionnaire du système d'éléments transposables KZFP souligne son importance fondamentale.

L'équipe de Trono a ensuite cartographié les cibles génomiques de la plupart des KZFP humains, pour découvrir que la plus grande part reconnaît des éléments transposables. «La très grande majorité des KZFP se lie à des motifs enrichis dans les éléments transposables», dit Trono. «Pour chaque KZFP, nous avons pu assigner un sous-ensemble d'éléments transposables cibles, et nous avons aussi trouvé qu'un élément transposable peut souvent interagir avec plusieurs KZFP. C'est un système hautement combinatoire et versatile.»

Enfin, les scientifiques de l'EPFL ont démontré que les KZFP sont capables de convertir des éléments transposables en plate-formes régulatrices finement modulées, qui influencent l'expression des gènes et qui vraisemblablement interviennent à tous les stades de développement et dans tous les tissus humains.

«Après être apparus il y a quelque 420 millions d'années, les KZFP ont rapidement évolué au sein de chaque lignée et espèce, parallèlement à l'invasion des génomes de ces dernières par des éléments transposables», dit Trono. «Le résultat de cette co-évolution, c'est l'élaboration des réseaux de régulation des gènes humains, qui sont largement spécifiques de notre espèce ou du moins limités aux primates – plus nous sommes loin dans l'évolution, moins il y a de similitudes.»

Les données résultant de l'étude montrent que les KZFP font équipe avec les éléments transposables pour créer ce que les auteurs appellent «une couche de régulation épigénétique largement spécifique de l'espèce». L'épigénétique se réfère aux processus biologiques – essentiellement des modifications biochimique de l'ADN et des protéines associées – qui conditionnement l'expression ou la répression d'un gène. En tant que champ d'études, l'épigénétique a pris de l'importance ces dernières années, révélant une complexité et une élégance dans la génétique que l'on n'avait pas jusqu’alors imaginées.

«Les KZFP contribuent à rendre la biologie humaine unique», dit Trono. «Avec leurs cibles génomiques, ils influencent vraisemblablement la plupart des événements régissant la physiologie et la pathologie humaine, et le font avec un grand degré de spécificité pour notre espèce – le système général existe chez de nombreux vertébrés, mais l'essentiel de ses composants sont différents dans chaque cas». Les découvertes de cette étude aideront les scientifiques à identifier de possibles lacunes dans les modèles animaux courants, et à construire une image plus précise de la manière dont les gènes agissent chez les humains.

«Cette étude lève le voile sur quelque chose de largement insoupçonné: la formidable spécificité d’espèce de la régulation des gènes chez humain», dit Trono. «Elle a des implications profondes pour notre compréhension du développement humain et de la physiologie, et nous donne une remarquable abondance de ressources pour examiner comment des dysfonctionnements dans ce système peuvent résulter dans des maladies telles que le cancer.»

Cette étude a été financée par le Fonds National Suisse, le Conseil de la Recherche européen, et le Fonds de la Recherche en Santé du Québec. La partie de séquençage de l'ADN de l'étude a été réalisée à la Genomic Technologies Facility de l'Université de Lausanne.

Référence

Michaël Imbeault, Pierre-Yves Helleboid, Didier Trono. KRAB-ZFPs contribute to the evolution of gene regulatory networks. Nature 08 March 2017. DOI: 10.1038/nature21683