Les infrastructures en quête de jeunesse éternelle

Thinkstockphotos

Thinkstockphotos

Il est encore difficile d’analyser la sécurité des ponts vieillissants et d’autres structures en dur, ce qui limite les options lorsque ces ouvrages arrivent en fin de service. Une nouvelle méthode inciterait à rajeunir les infrastructures pour une utilisation potentiellement infinie.

Les ingénieurs civils font généralement le pari de la sûreté ce qui est une bonne chose étant donné le type de structures qu’ils construisent. Personne n’aurait envie de traverser le pont du Golden Gate ou le nouveau tunnel du Gothard s’il avait des doutes sur l’ingénierie. D’un autre côté, un excès de prudence a ses inconvénients : travail superflu de réhabilitation ou destruction de vieilles structures toujours sûres. Mais il est presque impossible de poser un diagnostic précis sur les ouvrages vieillissants en utilisant des modèles conventionnels d’ingénierie à cause de leur complexité. En revanche, en combinant des données de capteurs avec un processus de sélection itératif à modèle multiple, des chercheurs de l’EPFL ont développé une approche qui pourrait contribuer à prolonger la durée de vie des structures construites. Ils l'ont testé aux Etats-Unis, sur un pont routier du New Jersey, et publié leurs résultats dans une édition récente du journal Engineering Structures.

Ian Smith, chercheur principal de cette étude, estime que certains modèles élaborés à partir du projet d’une structure comportent toujours un certain nombre d’erreurs. Tout se joue dans de petits détails. « Lorsque des ingénieurs modélisent un pont, ils doivent toujours faire des suppositions. Faut-il tenir compte du trottoir ? Des joints et des articulations ? Toutes ces hypothèses biaisent les modèles qui reproduisent systématiquement des erreurs biaisés dans le même sens. On appelle ce type d’erreurs non-aléatoires des erreurs systématiques. Alors que les erreurs aléatoires ont tendance à s’annuler mutuellement, c’est rarement le cas des erreurs systémiques, car pour cela, il faudrait que des erreurs qui pointent dans un certain sens aient exactement la même valeur que des erreurs pointant dans l’autre sens.

Alors que faire si concevoir et affiner un modèle ne fonctionne pas ? Selon, Ian Smith et Romain Pasquier, co-auteur de l’étude, pour trouver des modèles qui décrivent précisément le comportement d’une structure, il faut comparer des données mesurées avec plusieurs modèles pour éliminer ceux qui ne marchent pas.

Rejeter les modèles les moins performants
Les chercheurs ont appliqué cette méthode afin d’établir un diagnostic sur l’état de la structure d’un pont routier à huit voies du New Jersey. Dans un premier temps, le pont a été équipé de capteurs de déplacement. Puis, jusqu’à douze camions ont été parqués sur l’ouvrage dans des diverses configurations et, chaque fois, la réponse du pont était enregistrée. En comparant les déplacements mesurés avec ceux prédits par un grand nombre de modèles informatiques, les chercheurs ont pu déterminer quels modèles fonctionnaient et éliminer les autres.

Guidés par les données mesurées et leur expertise, les chercheurs ont continué à proposer des types de modèles alternatifs qu’ils amélioraient ou rejetaient. « Lorsque tous les types d’une classe de modèle sont falsifiés, notre approche devient un support exceptionnel pour l’exploration par classes de modèle. Elle aide, entre autres, à découvrir des niveaux insoupçonnés de capacités de réserve qui peuvent ensuite être mis à profit lorsqu’il s’agit de décider quoi faire : étendre, réparer, améliorer ou remplacer », explique Ian Smith. Après avoir répété le processus quatre fois, les deux chercheurs se sont retrouvés avec des modèles qui reproduisaient fidèlement le comportement du pont observé sur le terrain.

Une question qui vaut mille milliards de dollars
“Remplacer toutes les infrastructures vieillissantes n’est ni rentable ni viable”, avance Ian Smith. Il estime qu’il y a au moins mille milliards de dollars de capacités de réserve dans les infrastructures existantes. En outre, la méthodologie de falsification de modèles qu’il propose peut avoir des applications qui vont au-delà de la prolongation de la durée de vie des ponts. « C’est une approche générale d’interprétation de données qui peut être appliquée à tous les systèmes de mesure où l’incertitude de la modélisation est élevée », précise Smith. Au sein de son groupe de recherche, la falsification de modèles a été utilisée pour optimiser le positionnement de capteurs dans les réseaux de distribution d’eau et pour faire fonctionner des ponts à déploiement autonome.