«Les élèves peuvent appliquer leurs compétences à de réels problèmes»

Christoph Aeschlimann, diplômé EPFL en Informatique, a été nommé cette année Directeur Général de Swisscom. © Keystone / Christian Beutler

Christoph Aeschlimann, diplômé EPFL en Informatique, a été nommé cette année Directeur Général de Swisscom. © Keystone / Christian Beutler

Après un diplôme EPFL en Informatique et une carrière de premier plan marquée par plusieurs postes de direction en Suisse, Christoph Aeschlimann a été nommé cette année Directeur Général de Swisscom. Il recevra un Alumni Award de la part de l’EPFL lors de la Magistrale 2022.

Vous êtes depuis juin 2022 le Directeur Général de Swisscom. Votre vie a-t-elle changée ?

Depuis 2019 et mon arrivée au sein de Swisscom, je m’occupais avant tout des sujets technologiques en tant que Chief Technology Innovation Officer. Depuis ma nomination en tant que Directeur Général, la variété de sujets dont je m’occupe a de fait augmentée, de même que le nombre d’interlocuteurs avec lesquels j’échange. Les questions managériales se sont renforcées, tout comme mon rôle de représentation de l’entreprise, que ce soit auprès du monde politique ou des médias. Les relations avec les investisseurs et actionnaires constituent une dimension importante de mon nouveau rôle, qui n’était pas présente du tout dans mon poste précédent. D’un point de vue plus personnel, il faut dans un poste de direction comme celui-ci être rigoureux pour maintenir un équilibre entre vie privée et vie professionnelle et savoir poser des limites lorsque c’est nécessaire.

Swisscom est toujours détenue à 51% par la Confédération. Gère-t-on différemment une entreprise semi-privée par rapport à une entreprise qui l’est entièrement ?

Je ne vois pas de différence, non. Swisscom est une société cotée en bourse ayant plus de 70'000 actionnaires et qui est active dans des marchés libéralisés, que ce soit celui de la télécommunication ou des services informatiques. La Confédération demeure l’actionnaire majoritaire et fixe tous les quatre ans l’orientation stratégique de l’entreprise en termes de missions, de finances ou de personnel notamment. Pour autant, Swisscom ne touche pas de subvention et la gestion de l’entreprise est comparable à celle de n’importe quelle entreprise privée à but lucratif. Bien entendu, nous travaillons sur des sujets qui concernent directement les pouvoirs publics, comme la fibre optique ou la construction de réseaux mobile ou fixe. Mais cet intérêt est lié à la nature de ces projets et aux questions de compétitivité du pays, et non pas à un statut spécifique de Swisscom.

Les revenus de Swisscom proviennent principalement de la téléphonie, de la télévision et des services informatiques. Comment la tendance évolue-t-elle entre ces différents piliers ?

L’entreprise est en effet active dans quatre domaines : le réseau fixe, le réseau mobile, la télévision et les services informatiques. Ce dernier est celui qui offre aujourd’hui la plus forte croissance. Cela provoque une réelle transformation de Swisscom, qui était avant tout un opérateur téléphonique et devient une entreprise informatique. Si les revenus proviennent aujourd’hui toujours principalement de la téléphonie fixe et mobile, il est clair que ce ne sera plus le cas dans quelques années. Les services informatiques, et plus spécifiquement ceux destinés aux entreprises, deviennent prépondérants.

A l’échelle de la société suisse, la consommation de données ne cesse d’augmenter et la croissance est de l’ordre de 25 % par année.

Christoph Aeschlimann

Ce changement est-il lié pour beaucoup à la crise sanitaire, qui a accéléré la numérisation de nos travails et de nos vies ?

Cette transformation était déjà à l’œuvre depuis de nombreuses années, mais il est clair qu’elle a été accélérée par la crise sanitaire en effet. Le nombre et le profil de nos clients ont changé : la digitalisation déjà à l’œuvre au sein des grandes entreprises touche désormais les PME, qui expriment des besoins de plus en plus forts en termes de stockage de données ou pour leur cybersécurité. Ces besoins des entreprises vont continuer à progresser car la quantité de données ne cesse d’augmenter. Le cloud est donc nécessaire à leur stockage et l’intelligence artificielle à leur traitement. De même, le développement de l’internet des objets et du metaverse, notamment, va créer de nouveaux besoins pour les entreprises.

Un autre impact de la crise sanitaire et du télétravail tient dans les attentes de plus en plus fortes que les clients ont vis-à-vis du digital. Tout doit désormais fonctionner parfaitement et à tout moment. C’est quelque chose que l’on constate autant à travers l’augmentation des demandes de support qu’à travers la médiatisation de plus en plus importante qui accompagne les pannes informatiques.

Christoph Aeschlimann © Droits Réservés

Cette digitalisation rapide s’accompagne de nombreux défis, environnementaux ou sanitaires notamment. Comment Swisscom y répond-il ?

Sur l’aspect sanitaire, nous sommes attentifs en tant qu’employeur à la santé de nos collaborateurs et collaboratrices. Je pense notamment à la dimension psychologique, avec l’isolement que le télétravail et la numérisation peuvent provoquer ou la frontière plus floue entre travail et vie privée qui s’opère lorsqu’on travaille depuis chez soi. Nous mettons en place des programmes internes pour y faire face.

En termes de durabilité, nous favorisons l’économie circulaire en offrant entre autres la possibilité à nos clients de nous redonner leurs anciens appareils mobiles. L’objectif est d’en extraire les métaux précieux nécessaires à la fabrication de nouveaux appareils. Nous avons également des offres de réparation pour éviter tout gaspillage et vendons des mobiles d’occasion. Plus d’un million d’appareils ont ainsi été réutilisés ou recyclés à travers ces différents programmes depuis 2012. Par ailleurs, l’électricité que nous utilisons provient à présent d’énergie propre, hydraulique ou solaire notamment. Nous avons de plus des programmes en place pour diminuer les émissions de notre flotte de véhicules et de nos bâtiments. Tout cela a permis de réduire nos émissions de 80% et l’objectif est d’atteindre les 90% dès 2025. En plus de ces émissions liées à nos activités opérationnelles, nous nous attaquons désormais à celles liées à la chaine logistique. Ce sont des engagements et des changements très concrets que nous opérons dans le but d’avoir un impact rapide, et non dans un futur hypothétique. Cette année, le magazine World Finance a salué ces actions en élisant pour la deuxième fois Swisscom comme l’entreprise en télécommunications la plus durable au monde.

L’un des grands défis technologiques actuels est la 5G. Quels sont ses bénéfices ?

Le point de départ est la consommation de données dont nous parlions un peu plus tôt. A l’échelle de la société suisse, celle-ci ne cesse d’augmenter et la croissance est de l’ordre de 25% par année. Il ne serait bien sûr pas possible de construire 25% d’antennes-relais supplémentaires chaque année pour transporter ces données, le défi repose donc sur le développement d’une technologie capable d’absorber cette augmentation spectaculaire. La 5G offre à la fois plus de vitesse et cette capacité à transporter plus de données. Avec l’internet des objets, le nombre d’appareils connectés est de plus en plus importants et là aussi la 5G aide en permettant de connecter plus d’objets à une seule et même antenne. La 5G est donc une technologie essentielle pour supporter l’évolution numérique de la société.

Nous mobilisons de nombreuses ressources pour la cybersécurité.

Christoph Aeschlimann

Cette arrivée de la 5G s’accompagne de beaucoup d’interrogations de la part du grand public, notamment en termes de santé publique. Ces craintes sont-elles fondées ?

Nous ne prenons pas ces craintes à la légère et étudions la question de près. Cependant, plusieurs études montrent que le rayonnement de la 5G est moins fort que celui de la 4G. Par ailleurs, beaucoup de craintes sont liées au rayonnement des antennes 5G. Or celles-ci ne rayonnent absolument pas en direction des personnes qui ne sont pas en train d’utiliser la 5G. Quant aux personnes qui l’utilisent, 90% des rayonnements reçus le sont du fait de la proximité de leur téléphone et non de celle de l’antenne. Ceci a été confirmé par des spécialistes comme le Professeur Martin Röösli, Professeur associé à l’Université de Bâle et l’un des spécialistes les plus reconnus des effets du rayonnement de la téléphonie mobile, mais aussi par une toute récente étude de l’Office fédéral de l’environnement, publiée en juin 2022.

Swisscom est particulièrement actif sur la question de la protection des données et est membre cofondateur du Center 4 Digital Trust, basé à l’EPFL. Comment créer et entretenir cette confiance numérique ?

Pour vous donner un exemple très concret, les infrastructures Swisscom subissent chaque mois 4,5 millions d’attaques numériques ! Ce nombre est énorme et ne fait qu’augmenter avec le temps. Nos systèmes permettent de les intercepter et de les bloquer mais la problématique n’en reste pas moins de grande importance, d’autant plus que ces attaques sont de plus en plus sophistiquées. En interne, nous mobilisons de nombreuses ressources pour la cybersécurité, notamment à travers notre Security Operation Center qui veille constamment sur nos infrastructures. Nous recrutons également beaucoup et nos effectifs liés à la cybersécurité ne cessent d’augmenter. Au-delà du cas spécifique de Swisscom, les grandes entreprises sont généralement bien équipées face à ces questions.

Le point clé est selon moi de parvenir à attirer l’attention des petites et moyennes entreprises sur le sujet, elles qui sont souvent moins au fait de ces problématiques et y allouent moins de ressources. En servant de plateforme de discussion autour de la sécurité numérique, le Center 4 Digital Trust remplit ce rôle de sensibilisation et permet de transmettre les bonnes pratiques à mettre en œuvre.

En servant de plateforme de discussion autour de la sécurité numérique, le Center 4 Digital Trust remplit un rôle de sensibilisation et permet de transmettre les bonnes pratiques.

Christoph Aeschlimann

Swisscom est présent à l’EPFL Innovation Park et a développé de nombreuses collaborations avec l’Ecole et ses laboratoires. En quoi ces liens avec l’École sont-ils importants?

Nous sommes présents depuis 2016 sur le campus, à l’EPFL Innovation Park, avec notre Swisscom Digital Lab. Cette présence physique facilite grandement les collaborations. Les liens avec l’EPFL sont pour nous essentiels et permettent d’établir un pont entre la recherche et la dimension commerciale. Nous accueillons ainsi de nombreux jeunes talents pour leurs projets de Master, et pour ces étudiantes et étudiants, c’est l’occasion d’appliquer leurs compétences à des problèmes réels. Les données dont nous disposons étant extrêmement nombreuses, Swisscom constitue je pense pour ces jeunes talents un cadre idéal pour développer de nouveaux projets, par exemple dans le domaine de l’intelligence artificielle. Pour nous, cela constitue bien entendu un canal de recrutement idéal puisque celles et ceux qui s’épanouissent durant leur projet de Master restent bien souvent au sein de Swisscom après leur diplôme.

Comme vous le soulignez, vous êtes un important employeur de diplômées et diplômés EPFL. Quels sont les profils d’ingénieurs dont Swisscom aura le plus besoin à l’avenir ?

Il s’agira principalement de profils techniques, notamment pour des métiers en lien avec notre infrastructure informatique, le génie logiciel ou encore la virtualisation. La partie croissante de notre activité liée aux services informatiques pour les entreprises nous amène également vers des profils liés au conseil et à l’intégration auprès de nos clients. Globalement, je pense que Swisscom est une entreprise qui offre une grande variété d’opportunités pour des profils issus de l’EPFL. Au-delà de ces compétences techniques, il est essentiel pour nous d’avoir des personnes motivées par l’innovation, qui souhaitent changer les choses et aller de l’avant, et qui sont passionnées par la technologie de pointe.

Quels souvenirs gardez-vous de vos années d’études à l’EPFL ?

J’ai adoré cette période de ma vie. Le campus est un lieu d’exception et l’enseignement y est de haut niveau. L’EPFL offre également de multiples opportunités de s’épanouir au-delà des études, que ce soit à travers la vie associative ou ses nombreux évènements festifs. Je garde des souvenirs très forts des festivals, que ce soit Sysmic ou Balelec par exemple, et des jours d’été au bord du lac. Mais comme beaucoup d’autres, mon endroit préféré du campus reste Satellite !

Profil :
1977 : Naissance à Bâle
2001 : Obtient son diplôme EPFL en Informatique
2017 : Nommé Directeur Général de l’éditeur de logiciels suisse Erni Technology
2019 : Rejoint Swisscom en tant que Chief Innovation Officer
2022: Nommé Directeur Général de Swisscom