Les cristaux liquides se réinventent à l'EPFL

ON, OFF: les microtubes à cristaux liquides du laboratoire de Demetri Psaltis réagissent dix fois plus vite que les afficheurs classiques.

ON, OFF: les microtubes à cristaux liquides du laboratoire de Demetri Psaltis réagissent dix fois plus vite que les afficheurs classiques.

Un laboratoire de l’EPFL a mis au point une nouvelle technologie, basée sur l’optofluidique, pour améliorer les performances des affichages LCD et des systèmes de traitement de l'information optiques. Les chercheurs visent un taux de rafraîchissement de l’ordre du kilohertz, dix fois plus rapide qu’avec la technologie à l’œuvre dans les téléviseurs.

Combien d’appareils autour de nous utilisent des cristaux liquides? Des centaines. Afficheurs de toute sorte, écrans de téléphone et d’ordinateurs, télévisions à écran plat s’appuient presque tous sur cette technologie déjà ancienne, étudiée depuis plus de cent ans et mise au point il y a près d’un demi-siècle.

Le principe n’a guère changé au fil des ans: chaque point (pixel) d’un afficheur contient une substance cristalline liquide qu’un champ électrique permet de polariser: les cristaux s’orientent tous dans la même direction. Si celle-ci est parallèle à l’orientation du verre polarisé qui la recouvre, la lumière peut traverser le tout. Dans le cas contraire, elle est bloquée et le pixel devient opaque.

Bien suffisante pour de nombreuses applications, cette technique se heurte toutefois à des limites en raison d’un «temps de latence» dont elle ne peut pas se débarrasser. Lorsqu’on coupe le champ électrique ou que l’on modifie son orientation, cristaux et écran perdent ce parallélisme et la lumière est bloquée. Mais cette réorganisation prend un certain temps, de l’ordre du centième de seconde dans le meilleur des cas.

A la poursuite du kilohertz
Grâce à une approche fondamentalement nouvelle, mise au point par des chercheurs du Laboratoire d’Optique (LO) de l’EPFL avec la collaboration du Laboratoire de cristaux liquide de l’Université de Calabre (Italie), les écrans du futur pourraient enfin s’affranchir de cette limitation. «Nous maîtrisons un temps de réaction inférieur au millième de seconde», affirme Andreas Vasdekis, chercheur à l’EPFL. Pour passer ainsi ce «mur de l’image», les scientifiques utilisent l’optofluidique, un champ d’investigation dont le LO et son responsable, Demetri Psaltis, par ailleurs doyen de la Faculté sciences et techniques de l’ingénieur, sont des pionniers reconnus. Leur méthode vient d’être décrite dans la dernière livraison de la revue Nature Photonics.

«Au lieu d’appliquer un champ électrique à nos cristaux, nous créons un mouvement dans un microcanal, au moyen d’une pression exercée sur les parois de ces tubes», résume Andreas Vasdekis. Cette technique, qualifiée de «péristaltique», est comparable au mécanisme qui fait progresser la nourriture dans l’œsophage.

Dans le sens du courant
Lorsque le flux avance ou recule dans ces canaux de quelques microns de diamètre, les cristaux qui le composent modifient légèrement leur orientation pour s’installer «dans le sens du courant», permettant ainsi le passage de la lumière. «C’est une méthode plus directe que celle du champ électrique. Elle est mécanique, ce qui nous permet de réduire à presque de très faibles valeurs le temps de réaction des cristaux», précise le chercheur.

Pour l’heure, ces travaux sont arrivés au stade de la preuve du concept. Les scientifiques ont réussi à générer à l’intérieur des microtubes un flux à une cadence de 1 kHz, soit 1000 oscillation par seconde «Nous pouvons imaginer des applications spécialisées, par exemple dans les systèmes optiques de traitement de l’information, mais également des débouchés intéressant le grand public, comme de nouvelles générations d’écrans plats ou en trois dimensions», poursuit le chercheur. D’autant plus que cette technologie pourrait être appliquée au moyen de processus industriels bien maîtrisés et peu coûteux tels que la lithographie douce (soft lithography). Les scientifiques envisagent aussi de pouvoir recourir à des «pompes» nanotechnologiques contrôlées par des impulsions électriques à haute fréquence.

Des perspectives qui pourraient certainement se traduire en opportunités commerciales, en raison de la très grande diffusion des afficheurs à cristaux liquides «traditionnels». «Ce que nous avons mis au point est une avancée majeure concernant une technologie déjà mûre et bien établie, commente Demetri Psaltis. Cela permet d’envisager des applications rapides, peut-être déjà d’ici cinq ans.»