Le transfert d'électron clarifié
Des chercheurs de l’EPFL ont montré comment les solvants interfèrent dans le transfert d’électron en utilisant une résolution temporelle inédite de spectroscopie à fluorescence ultrarapide.
Est appelé « transfert d’électron » le processus au cours duquel un atome donne un électron à un autre atome. Inhérent à toute réaction chimique, ce phénomène fait l’objet de force recherches tant ses implications en chimie et en biologie sont grandes. Lorsque deux molécules interagissent, cet échange particulaire se déroule en l’espace de quelques quadrillions (10-15) de seconde seulement, ou femtoseconde (fsec). Son étude requiert donc de promptes techniques, comme la spectroscopie ultrarapide. Le transfert en lui-même est en outre souvent influencé par la solution (p.ex. de l’eau) dans laquelle baignent les molécules, qui doit être prise en compte lors la conception d’expériences. Une récente publication de Nature Communications explique comment des chercheurs de l’EPFL ont pu décrire en primeur le transfert d’électron au sein du solvant le plus commun, l’eau.
Pendant plus de vingt ans, les scientifiques ont essayé d’expliquer de quelle manière un électron quitte un autre atome ou une autre molécule, traverse l’espace via un solvant et finit par se connecter à un atome accepteur (ou une molécule). Jusqu’ici, toutes les recherches ont été vaines, principalement parce que le transfert d’électron s’effectue dans un laps de temps très court. Ce problème devient encore plus épineux si l’on considère que les molécules du solvant réactif le plus répandu, soit l’eau, sont polaires, c’est-à-dire qu’elles répondent au mouvement des électrons en l’influençant. Il est donc crucial de comprendre l’impact du solvant en temps réel, car il influence directement le résultat et l’efficacité des réactions chimiques impliquant un transfert d’électron.
Pour observer l’évolution de ce mouvement particulaire, l’équipe de Majed Chergui du Laboratoire de spectroscopie ultrarapide de l’EPFL (LSU) a employé un système unique au monde doté d’une résolution temporelle encore inédite. Les scientifiques ont excité de l’iode dans l’eau au moyen d’ultraviolets, provocant l’éjection d’un de ses électrons. Une technique nommée spectroscopie à fluorescence ultrarapide leur a ensuite permis d’observer le mouvement de cet électron à différents instants répartis entre 60 fsec et 450 fsec, les recherches précédentes se limitant à 200 fsec – 300 fsec. En effet, une fois l'électron en partance, un certain nombre de processus se mettent en route et brouillent les périodes les plus longues – les plus courtes étant restées inaccessibles jusqu’ici.
Cette expérience a montré que le mouvement de l’électron dépend beaucoup de la configuration de la « cage de solvant » entourant l’iode (en chimie, ce terme décrit la façon dont les molécules dudit solvant s’agencent autour d’un atome ou d’une molécule et tentent de l’immobiliser). Les chercheurs de l’EPFL ont découvert que les molécules d’eau polarisées maintiennent l’électron en place pendant un certain temps, ce qui cause des réarrangements structurels du solvant (l’eau) et une réduction de la force motrice d’éjection de l’électron dans le liquide. Au final, la cage de solvant n’empêche pas la migration des électrons, mais la ralentit en prolongeant leur séjour autour de l’iode jusqu’à 450 fsec.
Cette étude de premier plan démontre l’influence majeure de la configuration et du réarrangement du solvant sur l’éjection de l’électron. Comme le résume Majed Chergui, « il ne suffit pas de prendre en compte le donneur et l’accepteur de l’électron – le solvant entre les deux joue également un rôle. Il s’agit ici de rappeler à tout chercheur planifiant de pousser des molécules au transfert d’électron en utilisant la lumière qu’il ne faut en aucun cas négliger le solvant – c’est une pièce maîtresse du jeu, et c’est son nouvel agencement qui va déterminer l’efficacité de la réaction chimique espérée. »