Le mystère des aimants quantiques partiellement levé

© 2013 EPFL

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Des scientifiques de l’EPFL ont fait une découverte de taille concernant les propriétés des aimants quantiques, qui pourrait modifier en profondeur notre perception de la physique fondamentale.

Les antiferroaimants sont des matériaux qui perdent leurs propriétés magnétiques apparentes lorsqu’ils sont refroidis près du zéro absolu. Contrairement aux aimants traditionnels, qui suivent les lois de la physique classique, même à un niveau atomique, les antiferroaimants comme le sulfate de cuivre sont des systèmes quantiques dans lesquels les électrons montrent un comportement collectif complexe. Ils appartiennent au champ de la physique quantique à n corps, une discipline scientifique qui étudie la manière dont se conduisent de vastes regroupements de particules en interaction, et pour laquelle il n’existe jusqu’ici qu’une infime partie de solutions exactes aux problèmes soulevés, la plupart n’ayant pas pu être corroborées de façon expérimentale. Selon un récent article publié dans Nature Physics, des chercheurs du Laboratoire de magnétisme quantique de l’EPFL (LQM) collaborant avec l’Institut Laue Langevin et l’Université d’Amsterdam sont parvenus à mesurer le magnétisme collectif de mécanique quantique à l’intérieur de cristaux de sulfate de cuivre, et ont démontré comment celui-ci dépend des propriétés de quasiparticules subélectroniques appelées spinons.

Le sulfate de cuivre pentahydrate est une substance très répandue fréquemment utilisée pour éviter la colonisation des piscines par les algues. Comme il forme facilement des cristaux de grande taille, il est très populaire dans les classes de chimie, où nombre d’étudiants ont été marqués par sa belle couleur bleue très intense. Mais le CuSO4 a d’autres propriétés passionnantes souvent méconnues.

Lorsque sa température est abaissée près du zéro absolu, le sulfate de cuivre voit apparaître un état fascinant de la matière, le « liquide de spin quantique ». Or, tout magnétisme trouve principalement son origine dans les spins des électrons de la substance concernée, également nommés « moments magnétiques ».

Lorsque les aimants conventionnels (tels les ferroaimants) sont refroidis à de très basses températures, les spins des électrons s’alignent selon un schéma statique simple, ce qui leur est impossible dans le liquide de spin quantique du sulfate de cuivre en raison de fluctuations quantiques. Celles-ci provoquent des changements constants de spins comme des molécules flottant dans un liquide. Pourtant, malgré ces modifications directionnelles permanentes, les spins restent en lien les uns avec les autres bien qu’étant spatialement séparés, un phénomène connu sous le nom d’intrication quantique et qui, d’après les scientifiques, sera la clé des futurs ordinateurs du genre.

Dirigés par Henrik M. Rønnow, les chercheurs du LQM ont donc refroidi un cristal de sulfate de cuivre jusqu’aux alentours du zéro absolu (environ 0.01 K) afin de le transformer en un liquide de spin quantique, puis diffusé des neutrons inélastiques pour étudier le mouvement des spins d’électrons. Leurs expériences révèlent que les propriétés magnétiques du sulfate de cuivre ne peuvent alors plus être décrites par le biais du comportement individuel des moments magnétiques portés par chacun des électrons présents dans l’échantillon. Au lieu de cela, le fait de tourner le moment magnétique d’un seul électron crée deux objets quantiques distincts dans l’espace appelés « spinons ».

La précision des expériences réalisées a permis de détecter concrètement de telles paires de spinons. Mieux encore, des cas de séparations (ou excitations fractionnaires) à quatre spinons ont été relevés. En portant une attention particulière à l’intensité de leur signal expérimental, les chercheurs de l’EPFL ont donc pu prouver et quantifier l’existence d’états composés de plus de deux spinons. Cette découverte susceptible de bouleverser les paradigmes existants aura évidemment un impact direct sur les livres de physique, mais elle va surtout permettre aux scientifiques de se faire une idée claire des excitations multiparticules dans les systèmes quantiques, facilitant de fait leur compréhension.