«Le monde est notre véritable laboratoire»

Athanasios Nenes a rejoint l’EPFL en septembre 2018. © Alain Herzog / EPFL

Athanasios Nenes a rejoint l’EPFL en septembre 2018. © Alain Herzog / EPFL

Rencontre avec Athanasios Nenes, expert en processus atmosphériques, qui a rejoint l’EPFL en tant que Professeur ordinaire à l’Institut des sciences et ingénierie de l’environnement de la Faculté ENAC.

L’air, le feu, l’eau et la terre. De l'infiniment petit à l'échelle globale, le domaine de recherche d’Athanasios Nenes couvre la totalité des éléments. Nommé Professeur ordinaire en ingénierie environnementale, il a ouvert en septembre 2018 le Laboratoire des processus atmosphériques et leurs impacts (LAPI). Son équipe de quinze chercheurs partage son temps entre le terrain, la recherche expérimentale et la modélisation de données avec comme objet d’étude les particules des nuages et l’analyse des conséquences de la pollution de l’air sur le climat, la santé humaine et les écosystèmes.

Après un diplôme de génie chimique réalisé à Athènes, sa ville natale, Athanasios Nenes obtient un master en chimie atmosphérique à l’Université de Miami puis un doctorat en génie chimique au California Institute of Technology (Caltech). Il est nommé en 2002 Professeur assistant, puis, de 2011 à 2018, Professeur ordinaire, au Georgia Institute of Technology (Georgia Tech), un poste qu’il a occupé jusqu’à sa nomination à l’EPFL.

Il reçoit en 2009 le Henry G. Houghton Award de l’American Meteorological Society, en 2011, le Kenneth T. Whitby Award, de l’American Association for Aerosol Research et en 2012, l’Atmospheric Sciences Section Ascent Award, de l’American Geophysical Union.

Athanasios Nenes décroche en 2016 un European Research Council (ERC) Consolidator Grant pour le projet PyroTRACH, qui vise à étudier les particules de l’air provoquées par les incendies. La Fondation pour la Recherche et la Technologie (Grèce) et l’Observatoire National d’Athènes le comptent parmi ses chercheurs associés. Athanasios Nenes fait également partie du Groupe d’experts indépendants des Nations Unies en charge de la protection des environnements marins (GESAMP) et co-préside la Division des sciences atmosphériques de l’Union européenne des géosciences (EGU). Entretien.

Pouvez-vous nous présenter votre domaine de recherche?

Mon expertise recouvre tout ce qui a trait aux particules dans l’atmosphère et à leur impact. Je m’intéresse particulièrement à leur composition et à ce que ces particules provoquent aux nuages, à l’atmosphère et à l'environnement. Par exemple, à partir de la concentration des particules dans l'air, il est possible de déterminer la quantité d'eau qu'elles absorbent et leur niveau d'acidité. Plus elles retiennent d'eau, plus elles réfléchissent la lumière du soleil et, par conséquent, plus elles aident à refroidir l'atmosphère. Le degré d'acidité influe sur la quantité de masse de particules qui peut se former plus tard dans la journée, sur la toxicité des particules ou sur la quantité de nutriments contenus qui sont disponibles pour fertiliser les écosystèmes. Mes premiers travaux consistaient à écrire des codes informatiques pour prédire les aspects importants de ces processus; aujourd'hui, ces codes sont largement appliqués dans les modèles de qualité de l'air, les modèles météorologiques et climatiques, par exemple en Chine et en Europe de l'Est - des régions qui connaissent des problèmes majeurs liés au brouillard et à la pollution atmosphérique.

Vous êtes également à l’origine d’un instrument qui permet de compter ces particules…

Au cours de mes recherches de doctorat à Caltech, mon collègue Greg Roberts et moi-même avons eu l'idée de concevoir un prototype d'instrument capable de mesurer ce qui était alors encore un défi, à savoir la concentration des particules qui se transforment ensuite en gouttes de nuage. L'instrument, appelé «Compteur de noyaux de condensation de nuages» (Cloud Condensation Nuclei Counter), a ensuite été patenté et concédé sous licence à une société du Colorado, aux États-Unis, et est disponible sur le marché depuis 2005. Aujourd'hui, cette machine est utilisée par des groupes de recherche du monde entier et est déployée sur des avions, des bateaux et des stations au sol pour générer une climatologie très utile des noyaux de condensation des nuages, ce qui nous permet au final d'élaborer des modèles météorologiques et climatiques plus précis. Nous avons eu de la chance: non seulement les scientifiques avaient vraiment besoin de ce type d'instrument, mais la société américaine qui l'a développé a fait un travail incroyable en produisant une version commerciale aussi proche que possible d'un instrument "plug and play". Depuis 14 ans, notre groupe de recherche déploie ces instruments sur le terrain partout où il se rend. Par exemple, en installant l'instrument sur un avion, nous avons pu analyser des particules dans l'air arctique, dans des ouragans et dans des masses d'air polluées aux États-Unis et en Europe. Le monde est notre véritable laboratoire!

Qu’en est-il de vos recherches sur les écosystèmes et la santé publique?

C'est une nouvelle orientation que nous avons prise il y a à peine quelques années. Il est maintenant établi que respirer des particules d'air à des niveaux élevés est une cause majeure de décès prématuré dans le monde. Nous voulons comprendre pourquoi cela se produit et aussi examiner les effets de la pollution de l’air sur des écosystèmes entiers, en particulier ceux de nos océans. Les particules en suspension dans l'air qui contiennent du fer, du cuivre et du phosphore (qui sont omniprésentes et proviennent d'un large éventail de sources) peuvent servir d'engrais pour les océans et fournir des nutriments importants - mais les mêmes composés peuvent être toxiques pour les humains. Nous développons donc des instruments qui mesurent les concentrations et la toxicité de ces particules et nous aident à mieux comprendre leurs impacts environnementaux. Nous travaillons également sur des outils et des méthodes pour détecter et quantifier les virus, les bactéries et les champignons dans l'air et évaluer leurs conséquences. Autant de domaines dans lesquels nous avons encore beaucoup à apprendre.

Vous avez reçu un ERC Consolidator Grant pour le projet PyroTRACH, axé sur l’étude des particules provoquées par les incendies. Est-ce là aussi un domaine encore méconnu?

Le changement climatique crée de plus en plus d'événements extrêmes - y compris des incendies - et nous avons là aussi beaucoup à apprendre sur l’impact des particules qui en résultent. Nous savons qu'elles restent dans l'air environ sept jours après leur émission, mais les méthodes utilisées aujourd'hui pour les détecter ne fonctionnent que pour deux jours environ après leur émission. Pour cette raison, les impacts des particules de fumée sur la santé publique, les écosystèmes et le climat sont actuellement fortement sous-estimés car nous ne parvenons pas à les identifier durant toute leur durée de vie. Des recherches récentes de notre groupe indiquent qu'au-delà de deux jours, la toxicité de ces particules de fumée peut être jusqu'à quatre fois plus élevée que celle de la fumée fraîchement émise. Ces particules pourraient également être un facteur de réchauffement de la planète, car elles absorbent la lumière du soleil et réchauffent la planète tout comme les gaz à effet de serre. Le projet de recherche PyroTRACH vise donc à développer des moyens pour détecter ces particules longtemps après leur émission et à comprendre comment leurs propriétés changent au cours de leur vie et affectent les humains et le climat.

Qu’est-ce qui vous a convaincu de rejoindre l’EPFL?

L’opportunité de pouvoir interagir avec des groupes de domaines variés, à l'intersection des questions urbaines, de santé humaine et d’écosystèmes. La majeure partie de l’humanité vit maintenant dans des villes - et cette tendance est à la hausse. L’impact de telles recherches profitera donc à la société dans le monde entier. Travailler dans une faculté à l’interface de l’architecture, du génie civil et de l’ingénierie environnementale permet d’aborder ces enjeux avec efficacité en leur offrant des solutions et des réponses. La Suisse et l’Europe apportent des ressources extraordinaires aux chercheurs dans mon domaine. C’est aussi un excellent cadre de vie pour mon groupe et ma famille. Nous sommes extrêmement heureux d’être ici.

Vous partagez votre temps entre l’enseignement et la recherche. Comment envisagez-vous ces deux activités?

J'aime ce travail dans son intégralité. J'aime résoudre des problèmes par la recherche, et l'enseignement est une source de perpétuel rajeunissement. Interagir avec la nouvelle génération est très gratifiant, son enthousiasme est merveilleux. Ces futurs ingénieurs auront tant de défis et de problèmes à résoudre! Discuter avec les étudiants inspire aussi de nouvelles idées de recherche et de nouvelles approches. Enseigner un sujet que vous pensez connaître révèle souvent des lacunes ou fait émerger des points de vue auxquels l’on n’avait jamais pensé auparavant. C'est donc à la fois une expérience enrichissante et une expérience d'humilité.