«Le Maroc est un vivier de jeunes talents»

Ghita Mezzour, Ministre de la Transition numérique et de la Réforme administrative au Maroc, avait fait le choix de l’EPFL pour ses études supérieures © Droits réservés

Ghita Mezzour, Ministre de la Transition numérique et de la Réforme administrative au Maroc, avait fait le choix de l’EPFL pour ses études supérieures © Droits réservés

Nommée Ministre de la Transition numérique et de la Réforme administrative au Maroc en octobre 2021, Ghita Mezzour mène sa carrière avec un objectif en tête: utiliser la digitalisation pour avoir un impact sur la société. Elle revient sur son parcours et les opportunités que présente le numérique dans le développement de son pays.

Article issu du magazine Dimensions (numéro 8).

Vous avez grandi au Maroc. Comment s’est fait le choix de l’EPFL pour vos études supérieures ?

C’est par mon réseau personnel que j’ai eu connaissance de l’EPFL. Plusieurs membres de mon entourage avaient fait l’EPFL et conseillé de m’y inscrire également, d’autant que l’Ecole était en pleine expansion. J’ai donc sauté le pas pour rejoindre la section de Systèmes de Communication. Venir étudier à l’étranger était pour moi une expérience extrêmement enrichissante, tant pour ma formation que pour les rencontres que j’ai pu faire durant cette période. C’était aussi une plongée dans un environnement différent de ce que j’avais pu connaitre jusque-là.

Après un parcours de professeure à l’Université Internationale de Rabat et une expérience dans l’entrepreneuriat numérique, vous êtes depuis octobre 2021 la ministre du Maroc chargée de la Transition numérique et de la Réforme administrative – un tout nouveau ministère. La voie politique était-elle un objectif personnel ?

C’est une nomination qui s’inscrit dans un gouvernement marocain qui a la volonté de se montrer plus ouvert en termes d’âge et de genre. A titre personnel, ce n’était pas nécessairement un objectif spécifique. Mon rêve a toujours été d’avoir un impact direct pour améliorer la vie des gens, en utilisant le digital et ma formation d’ingénieure comme outils pour participer au développement socio-économique. C’est ce que j’ai fait comme professeure en effet, par exemple en utilisant l’intelligence artificielle pour étudier le décalage entre le marché de l’emploi et les formations des jeunes afin d’améliorer leur employabilité. C’était également le cas en tant qu’entrepreneuse puisque ma startup proposait une solution basée sur les données et l’intelligence artificielle pour améliorer les prises de décisions des services publics et d’organisations internationales. Ce travail d’impact se poursuit aujourd’hui en tant que ministre. Au fil des années, la nature de mon travail a changé mais ce fil conducteur est resté intact.

Vous avez lancé début 2022 le programme MoroccoTech afin de faire du Maroc une destination d’investissement et accélérer la transition numérique. En quoi ce programme consiste-t-il concrètement ?

Le premier objectif de MoroccoTech est de mettre en valeur les initiatives du pays liées au digital. Elles sont nombreuses mais n’étaient pas agglomérées et aussi visibles qu’elles le méritent. Le Maroc est un vivier de jeunes talents en science, en technologie, en ingénierie, en mathématiques. Les compétences présentes au Maroc n’ont rien à envier à celles qu’on peut trouver à l’international. La troisième place du pays aux dernières Olympiades internationales d'informatique en est un bon exemple, mais c’est aussi ce qu’on peut voir dans la qualité de nos compétences en télécom, dans le fait que nous soyons l’une des trois plus grandes destinations d’Afrique en termes d’outsourcing - et c’est aussi ce que nous confirment de nombreux investisseurs.

Le second objectif est de rassembler l’ensemble de l’écosystème vers cet objectif commun qu’est la transition numérique. Nous sommes en train de finaliser la stratégie numérique nationale d’ici à 2030 – un horizon plus lointain aurait été déraisonnable quand on sait la vitesse à laquelle le digital évolue. L’un des axes stratégiques est d’attirer de nouveaux investisseurs en leur démontrant que le pays bénéficie de toutes les compétences nécessaires pour les accueillir. Pour cela, nous devons notamment accentuer le soutien à nos startups et à notre écosystème entrepreneurial.

Vous êtes vous-même issue du monde académique. Quel rôle celui-ci et la recherche universitaire peuvent-ils jouer dans la transition numérique au Maroc ?

Ce rôle est essentiel car c’est par la recherche universitaire que se crée l’innovation de demain, et c’est aussi bien souvent là que les jeunes talents créent leurs premières startups. Mais les universités ont bien sûr aussi un rôle fondamental à jouer à travers la formation. Il y a un fort besoin en termes de codage et de programmation informatique, mais aussi en termes de compétences liées à l’intelligence artificielle, au traitement des données ou encore à la cybersécurité. A terme, nous aimerions multiplier par quatre ou cinq le nombre d’étudiantes et étudiants formés aux métiers du digital, qui se situe actuellement entre 15000 et 20000 personnes par an.

Ghita Mezzour © Droits Réservés

On parle beaucoup de la fracture numérique. Comment la résoudre ?

Le Maroc a l’une des trois meilleures infrastructures télécom du continent et 93% de la population marocaine a accès à une couverture Internet – un taux très élevé pour l’Afrique. Ce n’est pas une fin en soi : il est nécessaire d’augmenter cette couverture jusque dans les zones plus reculées, mais aussi de faciliter l’accès de la population au matériel informatique. Le coût d’accès à celui-ci, en particulier aux smartphones, est bien souvent très élevé par rapport aux revenus moyens et nous réfléchissons à des programmes de soutien afin de faciliter l’accès des personnes qui n’en ont aujourd’hui pas la capacité. Le ministère de l’éducation nationale participe également à ce travail en équipant les écoles en matériel informatique.

Outre la transition numérique, votre ministère est également consacré à la réforme de l’administration. Vous avez récemment instauré une augmentation du salaire minimum et un congé paternel de 15 jours pour les fonctionnaires. Quelles sont les prochaines étapes ?

En effet, ces réformes sociales pour les fonctionnaires étaient essentielles. Le congé paternité marque une avancée pour les femmes également, en équilibrant les responsabilités familiales au moment d’une naissance.

La raison pour laquelle transition numérique et réforme de l’administration sont réunies au sein d’un même ministère est liée à une conviction que la première peut justement contribuer à la seconde. Nous avons par exemple fait de l’investissement une priorité. Le Maroc est déjà l’une des meilleures destinations africaines dans le domaine des affaires, mais nous cherchons à renforcer cela, par exemple en simplifiant grâce au digital les procédures pour les investisseurs. Les documents requis par l’administration pour déposer un dossier d'investissement ont ainsi été réduits de 45%.

L’une des nouveautés de votre rôle est sa dimension publique et médiatique. Est-ce quelque chose qui vous plait ?

Ce n’est pas si nouveau car en tant que chercheuse, j’étais déjà extrêmement engagée publiquement. Ma vision était que l’impact social n’était pas suffisant en me contentant de mes publications scientifiques, aussi allais-je également rencontrer les décideurs, tant universitaires que dans le secteur privé, pour leur expliquer comment ma recherche pouvait être utilisée et les aider. J’étais également présente médiatiquement pour renforcer la visibilité de ces recherches.

En tant que ministre, échanger avec la population est au cœur de mon approche et je passe beaucoup de temps à aller à la rencontre des gens dans un processus de consultation, dans toutes les régions du Maroc. C’est pour les citoyennes et les citoyens que nous travaillons, ce contact et cette transparence sont donc essentiels – et ces échanges sont pour moi de vrais moments de plaisir.

Vous insistez beaucoup sur cette envie d’avoir un impact sur la société. Qu’est-ce qui a déclenché cette volonté chez vous ?

C’est un choix personnel très conscient. Plus jeune, j’ai pris du temps pour m’interroger sur mes objectifs, ce que je souhaitais faire de ma vie et de ma carrière, et la conclusion était que je souhaitais avoir cet impact direct sur la vie des gens. Cette vision a été renforcée par les rencontres faites tout au long de mon parcours avec des personnes qui nourrissaient de grandes ambitions en termes d’impact sociétal. Le Maroc est un pays encore en construction, avec un potentiel immense d’un point de vue socio-économique.

Le gouvernement actuel est en place pour encore 4 ans. Pensez-vous poursuivre votre carrière politique ou revenir dans le monde universitaire ou l’innovation par la suite ?

Je prends les étapes les unes après les autres. Ce rôle de ministre est le mien pour quelques années encore, la suite se décidera plus tard. Une chose est certaine : quel que soit mon rôle, je continuerai à viser un impact économique et social à grande échelle pour le Maroc.

Quels souvenirs gardez-vous de vos années à l’EPFL ?

Des souvenirs d’une grande quantité de travail, de dimanches à la bibliothèque, de travail jusqu’à minuit parfois. J’avais soif de savoir et de connaissances, j’étais donc comblée. J’essayais de mettre à profit chaque instant, j’allais par exemple voir les professeurs pour échanger avec eux entre les cours – ils n’ont pas beaucoup pu profiter de leurs pauses, les pauvres ! C’est pour moi une fierté d’avoir fait l’EPFL. Lorsque je suis rentrée au Maroc suite à mes études, j’ai eu l’occasion de renouer avec l’Ecole grâce à l’antenne EPFL Alumni présente sur place. Mes études m’ont également permis de comprendre l’importance de la diversité, d’intégrer le fait que des personnes aux parcours et aux personnalités très différentes peuvent collaborer dans un même but.

Y-a-t-il un message que vous souhaitez passer aux nouvelles générations ?

Je rencontre régulièrement des lycéens, dont certains issus de quartiers moins favorisés. J’essaye de leur transmettre mon expérience et l’envie de faire bouger les choses. Lorsqu’on voit petit, on réalise petit. Mais le Maroc a la capacité de récompenser celles et ceux qui le méritent et c’est un bel exemple de montrer que les compétences et le travail paient. Cette vision des choses s’est pour moi renforcée lors de mon expérience aux Etats-Unis, où j’ai réalisé mon Doctorat : chaque personne peut avoir de l’impact, il faut simplement se lancer. J’ai envie de donner aux jeunes l’envie de voir grand.

PROFIL
1985 Naissance à Rabat
2008 Master EPFL en Systèmes de Communication
2015 Doctorat obtenu à Carnegie Mellon University
2018 Fonde la startup DASEC, active dans l’intelligence artificielle
2019 Nommée professeure agrégée à l’Université Internationale de Rabat
2021 Nommée Ministre Déléguée Chargée de la Transition Numérique et de la Réforme de l'Administration au Maroc