La salamandre, un modèle de régénération de la moelle épinière

© Alain Herzog 2020 EPFL

© Alain Herzog 2020 EPFL

La salamandre a un super-pouvoir unique: sa capacité à régénérer sa moelle épinière de manière fonctionnelle. Un projet interdisciplinaire vise à décrypter les mécanismes neuronaux sous-jacents de cette régénération

«La salamandre est unique», débute Auke Ijspeert. Le directeur du Laboratoire de biorobotique de la faculté des sciences et techniques de l'ingénieur (STI) explique: «C’est l’un des seuls tétrapodes à pouvoir régénérer sa moelle épinière de manière fonctionnelle». A la suite d’une lésion, la «magie» opère, et l’amphibien peut retrouver toute sa locomotion.

Cette magie de la régénération est au cœur du projet mené conjointement par Auke Ijspeert, András Simon (Karolinska Institute, Suède) et Dimitri Ryczko (Université de Sherbrooke, Canada). Les chercheurs viennent de recevoir pour cela une bourse Synergy du Conseil européen de la recherche.

Décoder les mécanismes neuronaux impliqués

En intégrant la génomique, la neuroscience, la modélisation numérique et la bio-robotique, les scientifiques entendent décrypter les mécanismes neuronaux sous-jacents de cette régénération. «Le système nerveux de la salamandre possède tous les éléments fonctionnels des mammifères tout en étant relativement simplifié», explique Dimitri Ryczko, professeur adjoint au Laboratoire de contrôle locomoteur de l’Université de Sherbrooke. «Elle est donc la candidate idéale pour étudier le réseau locomoteur chez les animaux vertébrés.»

Le projet vise également à mieux comprendre les interactions entre le système nerveux central et le système nerveux périphérique dans le contrôle de la locomotion. «La moelle épinière, qui fait partie du système nerveux central, est l’ordinateur de bord de la locomotion», illustre Auke Ijspeert. Dans une moelle épinière isolée, il est en effet possible d’observer des réseaux de neurones qui oscillent par eux-mêmes et fournissent de bonnes instructions pour se mouvoir. «C’est impressionnant, car cela signifie que la moelle épinière sait quels sont les bons signaux qu’elle doit envoyer aux muscles pour moduler la locomotion sans avoir besoin du corps». Cependant, elle n’est pas seule aux commandes. Le système périphérique, qui fait circuler les informations sensorielles du corps en rapport avec l’environnement jusqu’au système nerveux central et qui participe au contrôle des mouvements, donne également des instructions. Les scientifiques pensent que cette redondance et les interactions physiques entre le corps et l’environnement aident à la régénération fonctionnelle.

La force de la recherche interdisciplinaire

Pour percer ce mystère, la réunion des disciplines des trois scientifiques est cruciale. Grâce à ses connaissances sur l’aspect biologique du contrôle locomoteur, Dimitri Ryczko étudiera comment les réseaux de neurones sont organisés. Il utilisera l’optogénétique, technique qui permet de rendre les neurones sensibles à la lumière et de stimuler certains types cellulaires qui les composent, afin de mesurer l’activité neuronale avant et après lésion de la moelle épinière. András Simon, expert de la régénération, a caractérisé le génome de la salamandre. Il fournira les outils d’optogénétique à son confrère et étudiera les propriétés moléculaires des réseaux de neurones régénérés.

Enfin, le laboratoire d’Auke Ijspeert sera en charge de la modélisation numérique des réseaux de neurones et de l’aspect bio-robotique. L’idée est de tester et valider ces modèles non seulement par la simulation, mais aussi grâce à une version améliorée du robot salamandre Pleurobot. «Il sera doté d’une sorte de peau tactile», précise le scientifique. «Ces interactions du corps avec l’environnement – le sable, l’eau, la boue – étant très difficiles à modéliser, un robot nous permettra de voir comment l’environnement affecte la locomotion et donc de mieux étudier les interactions entre le corps et le système nerveux.»

Combler le chainon manquant

«Les salamandres sont les seuls vertébrés qui intègrent à la fois le circuit locomoteur des tétrapodes et la capacité de régénération des neurones», déclare András Simon, Professeur au Karolinska Institute. «Leur place dans l’évolution offre une occasion unique de combler un fossé entre les découvertes faites sur les vertébrés sans jambes capables de se régénérer, les poissons par exemple, et celles faites sur les mammifères terrestres qui n’ont pas cette capacité de régénération».

L’aspect fondamental de ce projet n’empêche pas Auke Ijspeert de distinguer une opportunité pour son domaine: «Ces principes de robustesse et de restauration pourraient peut-être un jour être transférés en robotique, afin de construire des machines pouvant continuer de fonctionner malgré des dommages électroniques et mécaniques.»