"La Fusion, désormais une discipline respectée"

Ambrogio Fasoli près de l'installation de fusion, TCV, du Swiss Plasma Center / © Nicolas Schopfer

Ambrogio Fasoli près de l'installation de fusion, TCV, du Swiss Plasma Center / © Nicolas Schopfer

Figure incontournable de la recherche en fusion en Suisse et en Europe, le physicien et professeur à l’EPFL Ambrogio Fasoli a été admis au cours de l'année 2024, dans trois des cercles scientifiques les plus prestigieux: l’Academia Europaea pour l’Europe, l’Académie des Lincei pour l’Italie et l'Académie suisse
des sciences techniques (SATW) pour la Suisse. Cette triple reconnaissance témoigne non seulement de ses importantes contributions à la physique des plasmas, mais également de son rôle de leader dans le développement de la recherche en fusion. Une telle série de distinctions en une seule année n’est pas un hasard; elle coïncide avec un moment clé de sa carrière, marqué par deux étapes majeures: cinq années de présidence du Consortium européen pour l’énergie de fusion (EUROfusion) entre 2019 et 2023, son entrée en fonction au 1ᵉʳ janvier 2024 en tant que Programme Manager (CEO) d’EUROfusion, ainsi que sa nomination, à compter du 1ᵉʳ janvier 2025, au prestigieux poste de Provost de l’EPFL.

Ambrogio Fasoli, que signifie pour vous cette triple nomination en 2024?
Une reconnaissance de ma carrière en tant que scientifique, enseignant et manager. Une reconnaissance qui vient de collègues non seulement dans mon domaine, mais également dans des disciplines plus larges. Bien que cela puisse être considéré comme un accomplissement personnel, c’est aussi un hommage aux communautés auxquelles j’appartiens et à tous les collègues avec lesquels j’ai le privilège de collaborer, au Swiss Plasma Center, à l’EPFL, à EUROfusion et dans le cadre du programme international sur la fusion en général.

Quelles sont les particularités de chacune de ces académies scientifiques?
Chacune a des prérogatives très intéressantes et reflète mes attaches géographiques, et, si je puis dire, sentimentales actuelles: la Suisse, l’Europe et l’Italie. Je suis passionné par chacune d’elles, car elles conseillent les gouvernements respectifs ou entités qu’elles représentent. L’Academia Europaea couvre un spectre très large, tout comme l’Académie des Lincei, avec une forte présence des humanités en plus des sciences, tandis que la SATW est davantage orientée vers la technologie. Ces approches diverses résonnent toutes avec moi.

Je défends une science qui se veut un vecteur de paix, montrant que les frontières étanches ne sont qu’un artefact politique, contre-nature.

Ambrogio Fasoli

Quelle vision de la science défendez-vous au sein de ces académies?
Une science ouverte, inclusive, éthique et dédiée à l’amélioration du bien-être de notre société, en particulier pour les générations futures. Une science qui se veut également un vecteur de paix, montrant que les frontières étanches ne sont qu’un artefact politique, contre-nature. Je suis fière de pouvoir dire que les institutions dans lesquelles j’ai œuvré et continue d’œuvrer, à commencer par l’EPFL, adhèrent pleinement à ce principe.

Au-delà de la reconnaissance, quelles responsabilités cela vous attribue-t-il?
Je ressens la responsabilité de promouvoir non seulement mon domaine, la physique des plasmas et la fusion, mais aussi la science dans son ensemble, avec une approche objective, fondée sur des faits quantitatifs et dépourvue de préjugés. Cette responsabilité s'étend au-delà des frontières de nos pays respectifs, dans le but de servir l'humanité. L'influence que ces académies peuvent exercer est immense, et une personne comme moi ne peut qu'humblement contribuer à la guider dans la bonne direction.

La fusion repose sur l’intégration, et ce terme ne concerne pas seulement les éléments scientifiques et technologiques qui doivent fonctionner ensemble, mais aussi la mise en commun des ressources et des compétences du monde entier.

Ambrogio Fasoli

Quelle influence cela vous confère-t-il, en particulier dans le domaine de la recherche en fusion?
Être reconnu comme un membre important de la communauté intellectuelle en général souligne combien la fusion est devenue une discipline respectée. Il nous incombe désormais de tirer parti de ce statut pour défendre les initiatives les plus appropriées, afin d’atteindre au plus vite notre objectif ultime: offrir à la société une source d’énergie sûre, accessible à tous, pratiquement inépuisable et compatible avec le développement durable.

Le réseau d’experts de la SATW, avec son slogan « la technologie pour la société », est très axé sur l’action et le dialogue avec toutes les parties prenantes. Concrètement, quelles actions doivent être entreprises pour faire avancer la fusion?
Nous devons être à la fois ambitieux et réalistes. La fusion repose sur l’intégration, et ce terme ne concerne pas seulement les éléments scientifiques et technologiques qui doivent fonctionner ensemble, mais aussi la mise en commun des ressources et des compétences du monde entier. Le projet ITER, qui démontrera la faisabilité de la fusion sur Terre, est né d’une collaboration internationale et bénéficie des connaissances et des capacités industrielles d’une grande partie du monde. Étendre ces collaborations au-delà d’ITER, pour l’étape DEMO qui démontrera qu’il est possible de produire de l’électricité, semble non seulement naturel, mais aussi très efficace pour progresser rapidement vers l’objectif ultime de l’énergie de fusion.

Quel rôle peut jouer la Suisse vers cet objectif?
La Suisse peut continuer à jouer un rôle clé dans cet effort collaboratif grâce à l’EPFL et son Swiss Plasma Center. Ce centre d’excellence est reconnu non seulement pour la recherche et le développement dans différents domaines de la fusion et leur intégration, mais aussi pour son rôle crucial face à l'enjeu transgénérationnel que représente la fusion: l’éducation et la formation des jeunes générations.

Bio express

  • 1964 : naissance à Milan
  • 1993 : Doctorat ès Sciences, Prix de la meilleure thèse de l’EPFL
  • 1993-1995 : Chercheur post-doctorant au Joint European Torus (JET), Oxford
  • 1997-2001 : Professeur assistant tenure track au MIT
  • 2001-2008 : Professeur associé en physique à l’EPFL
  • 2008 - aujourd’hui : Professeur ordinaire à l’EPFL
  • 2014 - 2020 : Directeur de publication de Nuclear Fusion, journal scientifique de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)
  • 2013 – 2024 : Directeur du Swiss Plasma Center de l’EPFL
  • 2020-2024 : Vice-Président associé pour la recherche à l’EPFL
  • 2024-2025 : Président du Consortium européen pour l’énergie de fusion (EUROfusion)
  • 1er janvier 2025 : Vice-Président de la recherche académique à l’EPFL

Trois académies au service de la science et de la société

L’Academia Europaea est une organisation pan-européenne dédiée à l’excellence scientifique dans tous les domaines, des sciences naturelles aux humanités. L’Académie des Lincei, fondée en 1603 en Italie, est la plus ancienne académie scientifique au monde, couvrant sciences et lettres.
Académie suisse des sciences techniques SATW, principale académie suisse de technologie, promeut l’innovation et conseille sur les enjeux technologiques.