La CEO d'une spin-off EPFL finaliste d'un prix international

Sylke Hoehnel, CEO de SUN bioscience, finaliste du prix Cartier Women Initiative © 2019 Murielle Sèvegrand (plume.photo)

Sylke Hoehnel, CEO de SUN bioscience, finaliste du prix Cartier Women Initiative © 2019 Murielle Sèvegrand (plume.photo)

Cofondatrice et CEO de la spin-off EPFL SUN bioscience, Sylke Hoehnel est finaliste du prix international Cartier Women’s Initiative Awards qui récompense des femmes à la tête d’une jeune entreprise. Elle présentera sa start-up demain jeudi à San Francisco pour tenter de décrocher un prix.

Quinze minutes de présentation à l’américaine permettront-elles à Sylke Hoehnel de remporter le premier prix du « Cartier Women’s Initiative Awards » ? Réponse demain soir. Mais sa sélection parmi les 21 finalistes de ce concours international qui comptait plus de 2000 entrepreneures du monde entier lui a d’ores et déjà offert visibilité et coaching personnalisé. Le système d’alvéoles qu’elle développe avec la cofondatrice, Nathalie Brandenberg, permet de faire croitre des organoïdes de manière simple et standardisée. Un gain de temps et de fiabilité pour les chercheurs qui arrive pile au moment où ces minuscules morceaux d’organes en trois dimensions prennent leur essor pour la recherche et les tests de médicaments. Interview d’une scientifique qui ne compte pas se laisser dicter son chemin vers des marchés auxquels elle ne croit pas.

En quoi consiste le système que vous développez?

Pour bien croitre, les organoïdes ont besoin d’une structure et d’un environnement particulier. Aujourd’hui on est au début de l’utilisation de ces mini organes pour diverses applications telles que le test de médicaments. Les chercheurs procèdent encore manuellement, ce qui nécessite du temps et pose des problèmes de reproductibilité. Notre dispositif, que l’on peut produire en quantité industrielle, combine des alvéoles arrondies avec un gel microstructuré qui facilite leur croissance. Il est ainsi possible de produire des centaines d’organoïdes identiques d’une taille prédéfinie. Cela paraît souvent trivial aux non-initiés, mais c’est en fait très difficile d’y parvenir à l’échelle microscopique à laquelle nous travaillons.

Un des critères pour participer au concours est la commercialisation d’un produit. Avez-vous déjà la possibilité de le produire en grande série et quels sont vos clients?

Nous avons mis au point un robot qui imprime la structure dans le gel et assemble le dispositif. Ce dernier est vendu depuis fin 2018 sous le nom de Gri3D et est utilisé par plusieurs groupes pharmaceutiques qui nous ont fait des retours très positifs. Nous l’utilisons aussi nous même pour des tests cliniques pilotes autour de la mucoviscidose que nous menons avec le CHUV. Notre système permet d’observer la réponse à divers traitements sur des cultures de tissus en trois dimensions.

Les recherches autour de la mucoviscidose pourraient-elles amener la participation à des études sur le test de médicaments pour d’autres maladies ?

Oui, c’est un de nos objectifs, mais nous avons réalisé qu’il fallait prendre le temps. Beaucoup de personnes, particulièrement des investisseurs, pensent au cancer car le marché est immense. Or il est déjà difficile de comprendre le cancer dans le corps humain, alors faire pousser quelque chose en laboratoire et prétendre que « c’est le cancer », c’est un raccourci un peu osé. En ce qui concerne la mucoviscidose, il s’agit de mutations génétiques. Il est donc relativement simple d’observer si une molécule pourrait fonctionner.

Qu’attendez-vous de cette semaine à San Francisco ?

Notre réseau a été un précieux allié jusqu’à maintenant et je pense que cette semaine va certainement servir à l’enrichir : outre le concours, les finalistes (photo) sont invitées à de nombreux workshop durant toute la semaine, notamment avec d’anciennes vainqueurs de ce prix. Ce prix apporte d’autre part une visibilité accrue. Il est organisé à l’image d’une campagne de pub, avec des vidéos, une large présence sur les médias sociaux et finalement la présentation de notre business plan, demain, à la manière d’un TED Talk. Franchement je n’avais encore jamais rien vu de pareil (rire), rien à voir avec nos compétitions de start-up standards.

Quel a été le processus de sélection, vous êtes-vous préparée de manière particulière ?

Une fois sélectionnée parmi les 21 finalistes sur la base d’un dossier, un business coach spécialisé dans la pharma nous a aidées à reformuler notre business plan, à le peaufiner. Puis j’ai travaillé et retravaillé mon discours. Les organisateurs souhaitent que nous nous présentions presque comme des « stars » (rire), ils veulent une cérémonie à l’américaine. Trois finalistes par région du monde sont maintenant à San Francisco. Sur la base du business plan et du pitch de demain, il y aura une gagnante pour chacune des sept régions.

Même si le nombre de femmes à la tête de start-up tend à augmenter, elles sont encore rares. Trouvez-vous difficile d’être une femme entrepreneure ici en Suisse ?

Pas particulièrement. Il est vrai que dans certaines séances, il y a quand même une grande majorité d’hommes et qu’il est arrivé une ou deux fois que j’aie un sentiment étrange en entrant (rire). Et lorsque nous avons signé le document pour notre prêt FIT (Fondation pour l’Innovation Technologique) devant un notaire, celui-ci a constaté que tout le document était rédigé au masculin alors que nous étions deux femmes. Cela ne s’était jamais produit…

Quelles ont été les étapes les plus difficiles dans l’élaboration de votre entreprise et de quoi êtes-vous la plus fière ?

À la fin d’un doctorat on a appris beaucoup de choses. Mais en créant une start-up ensuite, il y a encore tout à apprendre. Au départ c’est un peu comme un océan où il faut tenter de surnager en résolvant les problèmes les uns après les autres. Ça aide beaucoup d’être deux cofondatrices et de pouvoir maintenant compter sur un Chief Financing Officer qui est très proche de nous. Nous sommes donc une équipe de trois qui se soutient. Nous sommes fières d’avoir réussi à commercialiser notre produit sans investissements extérieurs. Nous avons développé notre système et mis sur pied sa fabrication uniquement avec les fonds gagnés lors des divers concours d’aide au démarrage. Peu de monde pensait que nous allions y parvenir. Mais nous avons préféré construire notre produit en relation avec nos clients plutôt que d’avoir des investisseurs qui nous poussent à le développer pour la recherche sur le cancer car nous pensions que c’était encore trop tôt. Maintenant nous sommes prêtes à grandir et démarrons une levée de fonds. Deux millions devraient déjà nous permettre d’avancer.

Pensez-vous rester en Suisse pour développer votre produit ?

Oui à priori, mais cela dépend bien souvent des investisseurs. S’ils ne tiennent à investir qu’à la condition que nous nous implantions aux USA… que pouvons-nous faire ? Donc il ne nous reste plus qu’à trouver un investisseur suisse qui souhaite nous voir rester (sourire).