L'Open Access révolutionne l'accès à la science

Le libre accès est aussi considéré comme un moteur pour faire avancer la recherche.© Frank Milfort/EPFL

Le libre accès est aussi considéré comme un moteur pour faire avancer la recherche.© Frank Milfort/EPFL

SÉRIE D’ÉTÉ : LES COULISSES DE LA SCIENCE
Dans les années 90, internet a bouleversé le monde de l’édition scientifique. Aujourd’hui c’est toute la culture de la recherche qui se trouve à un tournant.

Au printemps 2020, la pandémie de Covid-19 a provoqué une onde de choc. Elle a aussi révélé des tendances culturelles et sociétales profondes. Ainsi, aux premiers mois de la mobilisation contre le nouveau coronavirus, un élan extraordinaire a soulevé la communauté scientifique, avide de partager ses connaissances et découvertes. Il fallait avancer vite et ensemble, l’heure était au partage guidé par un agenda de recherche commun. Les séquences génétiques, l’imagerie, les données cliniques se sont échangées sans retenue, en dehors des canaux de publication scientifique classiques. « C’est un cas d’école qui illustre la réalité de la science aujourd’hui », se réjouit Gilles Dubochet, responsable de l’unité Open Science de l’EPFL. « Le modèle du chercheur qui poursuit sa recherche seul, enfermé dans son laboratoire pour en sortir une fois son résultat obtenu, qu’il publiera pour un cercle confidentiel de pairs, cède le pas à des agendas de recherche collectifs qui impliquent une communauté entière et fournissent des résultats accessibles à n’importe qui. »

Les mécanismes sont en train de se mettre en place, il y a encore beaucoup de travail à faire, mais la transition est en route

Isabelle Eula, directrice de la Bibliothèque de l’EPFL

Actualiser les pratiques de recherche pour répondre aux attentes de la communauté scientifique comme du public et s’adapter aux changements technologiques, tel est le défi de la révolution de la science ouverte (Open Science). Le système classique de publication des recherches a été le premier bousculé. « Le modèle scientifique tel qu’il existe aujourd’hui reste une mise à l’échelle de celui du XVIIe siècle, précise le conseiller. Il existait alors des clubs de chercheurs qui se parlaient entre eux et échangeaient des connaissances à travers des lettres. La publication de ces lettres dans des revues permettait le partage au sein de communautés. » Au fil des décennies, des éditeurs spécialisés ont pris le relai des sociétés savantes, proposant des revues scientifiques, générales ou thématiques, dont le prestige est mesuré par le facteur d’impact. Ils ont formalisé le système de validation des articles soumis par une révision par les pairs. Parallèlement, les bibliothèques académiques ont pris en charge la gestion des abonnements à ces journaux, de plus en plus nombreux, et pour un budget croissant, afin d’en garantir l’accès aux chercheuses et chercheurs.

Au milieu des années 90, l’arrivée d’internet va bouleverser ce modèle. « Désormais, l'échange d’information devient presque gratuit. On peut partager des informations à tout moment, sur tout, avec tout le monde », détaille Gilles Dubochet. Bénéficiaire de fonds publics, le monde scientifique cherche alors à en profiter afin de partager un maximum d’informations – des hypothèses aux résultats finaux – avec un maximum de personnes – scientifiques ou non. C’est ce qui motive la politique de l’Open Access.

Une transition en cours

Le défi du libre accès consiste à assurer cet accès large et gratuit pour tous en transformant le modèle économique de la publication et de l’accès aux publications. Les institutions académiques négocient avec les éditeurs cette transition vers une large diffusion, en reportant les coûts de l’accès sur la publication. « Les mécanismes sont en train de se mettre en place, nous sommes en plein dedans et il y a encore beaucoup de travail à faire, admet Isabelle Eula, directrice de la Bibliothèque de l’EPFL. Mais la transition est en route. »

Pour les chercheuses et chercheurs, publier en libre accès devient de plus en plus souvent une condition requise pour bénéficier de fonds publics. Cela bouleverse certes le modèle classique d’évaluation des scientifiques et des laboratoires, qui reste encore fortement basée sur le facteur d’impact des publications (dont les plus prestigieuses n’offrent pas toujours le libre accès ou à des prix élevés) et le nombre de citations. « L’Open Access est un moyen d’accroitre sa visibilité, assure Béatrice Marselli, coordinatrice de l’équipe de soutien à la publication à la Bibliothèque de l’EPFL. C’est aussi une forme de solidarité envers les pays ou les universités qui ne peuvent pas aujourd’hui s’offrir les abonnements aux publications scientifiques. »

La science est un bien public dont la valeur augmente quand la société se l’approprie

Gilles Dubochet, responsable de l’unité Open Science de l’EPFL

Au-delà de l’aspect individuel, le libre accès est aussi considéré comme un moteur pour faire avancer la recherche. Car il ne concerne pas seulement les résultats de recherche, mais toute la méthodologie et les données qui ont permis d’y parvenir. « La méthode qui amène au résultat est encore très souvent une boite noire », déplore le conseiller. Et même si une publication inclut un chapitre méthodologique, dans la plupart des domaines de recherche aujourd’hui, le texte ne suffit pas à reproduire l’expérience sans accès aux données ou au code utilisé. » Rendre transparente cette boite noire, c’est permettre à d’autres scientifiques de refaire l’expérience, ce qu’on appelle la reproductibilité. « Il faut créer un système de recherche où le libre accès et la capacité de collaborer deviennent véritablement valorisés », admet Gilles Dubochet.

Une ouverture dans les deux sens

Parallèlement à l’ouverture du système de publication classique, se déploient aussi de nouveaux canaux de partage qui répondent à une approche plus ouverte et collaborative de la science — l’Open Science. Les plateformes se multiplient sur lesquelles circulent des données, des codes scientifiques, des résultats partiels encore non révisés, ou des articles présentant des résultats négatifs, comme la communauté de la physique le pratique depuis longtemps. « Publier une recherche qui n’aboutit pas est tout aussi fondamental que des résultats positifs pour faire avancer la science », rappelle Béatrice Marselli. L’Open Science demande donc de repenser le système de validation des contenus par les pairs et, plus largement, de repenser les critères d’évaluation de la recherche.

A terme, le véritable enjeu de l’Open Science n’est-il pas l’engagement envers la société ? « La science est un bien public dont la valeur augmente quand la société se l’approprie », estime Gilles Dubochet. Avec les publications ouvertes, une médecin ou un journaliste peut se référer directement à un résultat scientifique pour guider les soins qu’elle pratique ou l’information qu’il donne à son public. L’Open Science va encore plus loin, en ouvrant non seulement les résultats finis, mais en exposant la machinerie scientifique qui les produit. Ainsi la science peut renforcer — ou reconstruire — le lien avec la société, parce que l’ouverture, naturellement, doit s’établir dans les deux sens. »