L'intelligence artificielle et le big data au service des animaux

© 2022 Istock

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Afin de donner un coup d’accélérateur à la recherche sur les animaux sauvages et d’améliorer le traitement de l’abondance de données collectées à leur sujet grâce aux nouvelles technologies, des spécialistes de l’intelligence artificielle et de l’écologie posent les bases d’une meilleure collaboration interdisciplinaire dans un article paru aujourd’hui dans Nature Communications.

L’écologie est entrée ces dernières années dans l’ère du big data et de l’internet des objets. Par satellite, par drone ou sur terre, grâce à des caméras automatiques et divers types de capteurs placés sur les animaux ou dans l’environnement, la facilité d’obtention et de partage des données concernant les animaux sauvages fait tomber les barrières de temps et de distance tout en minimisant la présence perturbatrice de l’être humain. Divers programmes d’intelligence artificielle permettent l’analyse de cette pléthore d’informations. Mais ces modèles informatiques sont souvent généraux et peu adaptés à une analyse précise des comportements et de la physionomie des animaux sauvages. Afin d’affiner ces modèles et de faire avancer la recherche, une meilleure coopération entre chercheurs en vision par ordinateur et en écologie est nécessaire. Des chercheurs de l’EPFL et d’autres universités publient aujourd’hui dans Nature Communications un article pionnier sur les nouvelles perspectives offertes par l’IA dans la préservation des animaux sauvages.

Construire un savoir-faire transdisciplinaire

Les études du monde animal sont passées du local au global et les nouvelles technologies offrent une opportunité sans précédent d’améliorer l’estimation de larges populations, la compréhension des comportements, le combat contre le braconnage ou encore de lutter contre la diminution de la biodiversité. L’intelligence artificielle, plus précisément la vision par ordinateur, permet d’extraire des éléments significatifs d’images, de vidéos ou d’autres types de données visuelles pour classifier, dénombrer, percevoir des informations très rapidement sur de larges groupes de données. Les programmes génériques utilisés de plus en plus en écologie animale, font souvent figure de boite noire et n’exploitent pas le potentiel de la connaissance du domaine du vivant. Peu personnalisables, ils sont aussi sujets à divers biais : géographiques notamment -si toutes les données pour l’entrainement ont été récoltées en Europe par exemple, elles pourraient ne pas convenir à une étude dans d’autres régions-, un contrôle de qualité de ces modèles parfois lacunaire, ou encore des risques éthiques liés à l’utilisation de données sensibles.

« Nous souhaitons éveiller l’intérêt et rassembler davantage les chercheurs afin de faire progresser cette discipline émergente. L’intelligence artificielle est un accélérateur indispensable à la recherche sur les animaux sauvage et la préservation de l’environnement », souligne Devis Tuia, professeur au Laboratoire de science computationnelle pour l’environnement et l’observation de la Terre de l’EPFL et premier auteur de l’article paru dans Nature Communications. Pour diminuer la marge d’erreur d’un programme d’intelligence artificielle entrainé à reconnaitre une espèce par exemple, il est important d’intégrer les connaissances de la recherche en écologie. Grâce à l’expérience de spécialistes, certaines caractéristiques acceptables peuvent être intégrées : par exemple intégrer le fait que certaines espèces ne peuvent pas survivre à certaines latitudes, ou que la présence d’une espèce est cruciale à la survie d’une autre par une relation de prédation, ou encore que la physiologie d’un animal change au rythme de son cycle de vie. « Il y a quelques années, nous avons amélioré un programme de reconnaissance des ours, note Mackenzie Mathis, professeure de neuroscience à l’EPFL et coauteur de l’article. Pour une étude sur leur ADN, une chercheuse avait placé des caméras automatiques sur le terrain afin de reconnaitre les individus. Mais l’ours perd la moitié de sa graisse corporelle en hibernant. Les programmes génériques ne les reconnaissaient donc pas au fil des saisons. Divers critères qui ne se basent pas seulement sur la présence ou l’absence d’une caractéristique, mais que l’on peut affiner en décidant manuellement si une marge est possible ont été intégrés ».

Mieux faire connaitre les initiatives existantes

C’est au détour de discussion avec d’autres chercheurs lors de conférences spécialisées ces deux dernières années que l’idée de créer davantage de ponts entre vision par ordinateur et écologie est née. Le bénéfice que pourrait en tirer notamment la lutte contre l’extinction de certaines espèces d’animaux sauvages est sans précédent. Différentes initiatives de collaborations existent déjà, dont certaines sont listées dans l’article. A l’EPFL par exemple, Devis Tuia lui-même et ses collaborateurs développent un programme de reconnaissance des espèces sur la base d’images prises par un drone. Il a été récemment appliqué à une population de phoques. Le logiciel open access mis au point par le Laboratoire de Mackenzie Mathis, Deeplabcut, permet un suivi des animaux et de leur posture sans précédent. Il a d’ores et déjà été téléchargé 300'000 fois. Mis au point pour les animaux de laboratoire, il peut être adapté pour d’autres populations. D’autres programmes ont été développés dans d’autres universités, mais l’absence de communauté rend difficile le partage de connaissance, les utilisateurs potentiels ne savent souvent pas que ces solutions existent ou laquelle est la plus adaptée pour leurs besoins.

Des forums de discussions ont également été initiés pour faciliter les échanges, mais cet article vise à attirer une attention plus large, auprès d’autres chercheurs au niveau mondial. « C’est une communauté qui est en train de se construire, souligne Devis Tuia ». Afin de rassembler les différents auteurs, nous avons opéré par le bouche-à-oreille afin de créer un premier réseau. Nous avons commencé cette démarche voilà deux ans avec d’autres auteurs principaux de cet article : Benjamin Kellenberger, également à l’EPFL, Sara Beery, de Caltech aux États-Unis, et Blair Costelloe, qui travaille notamment au Max Planck Institute en Allemagne.