L'informatique, un univers désespérément masculin?

© Alain Herzog / EPFL

© Alain Herzog / EPFL

L’Agence onusienne pour les technologies de l’information et de la communication (ITU) a organisé un débat sur la faible participation féminine dans son domaine. Aussi bien à l’EPFL que dans les autres universités suisses, les étudiantes ne représentent que 13 à 15% des effectifs. Anastasia Ailamaki, professeure responsable du Laboratoire de systèmes et applications de traitement de données massives était invitée. Elle nous donne quelques pistes de réflexion.

Pourquoi les études en informatique attirent aussi peu les jeunes actuellement, particulièrement les femmes?
Le monde change vite, l’image des sciences aussi. A la fin des années 80, tout le monde voulait faire des études en informatique. Dans l’imaginaire collectif, c’était quelque chose de nouveau, plein de perspectives d’avenir. Les femmes étaient d’ailleurs très présentes dans la branche. Maintenant l’ordinateur est devenu un objet tellement commun, si simple d’utilisation, qu’on en envisage plus toutes les facettes. La plupart des gens imaginent qu’être ingénieur en informatique signifie devenir programmeur ou réaliser des sites internet. Les algorithmes qui nous permettent de résoudre un problème, voire plusieurs sont très abstraits et inconnus du grand public. L’autre image qui fait du mal à notre domaine est celle, très en vogue, du geek. On imagine le type aux cheveux longs, solitaire, tout le temps derrière son écran… Ce n’est pas très attractif pour les jeunes, surtout les filles. Or je pense que les femmes ont souvent un avantage éducatif pour devenir même de meilleures ingénieures que les hommes. Elles sont responsables beaucoup plus jeunes, surtout dans des sociétés traditionnelles où elles s’occupent de la maison, des frères et sœurs etc. Faire plusieurs choses en même temps, être attentives à ce que tout aille bien devient une seconde nature. Etre ingénieur ce n’est pas effectuer des tâches, mais justement être polyvalent: savoir trouver l’information, résoudre les problèmes et en superviser le bon déroulement.

Quelles sont vos pistes pour donner envie aux filles d’entreprendre les mêmes études que vous et changer cette image?
La clef pour modifier l’imaginaire collectif est l’éducation. Pour l’instant, les cours de math, physique, langage de programmation et autres sujets techniques remplissent l’horaire de la première année des études en informatique. Aucun cours ne porte sur ce qui fait de l’informatique une science. Pour remédier à ce problème nous sommes en train de préparer, avec le nouveau doyen de la faculté et les autres professeurs, à un enseignement spécifique qui porte sur cette question. La plupart des universités dans le monde ont la même réflexion en ce moment. Le feedback par le bouche à oreille contribuera naturellement d’ici quelques années à changer plus largement l’idée que les gens se font de l’ingénierie informatique. Mais il faudrait également que des experts mettent sur pieds ce genre de cours pour les gymnasiens. On pourrait très bien imaginer le même type de contenu pour des jeunes de 15 ans.

Pour quelles raisons avez-vous entrepris des études dans ce domaine et quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui sont en train de faire leur choix ?
J’ai choisi des études en informatique parce que c’est difficile ! C’est très personnel, mais j’ai toujours aimé les challenges. Au départ je voulais devenir ingénieure chimiste. Puis quelqu’un m’a parlé de ce nouveau département d’informatique qui s’ouvrait à l’Université de Patra (Grèce). C’était en 1985 et je n’avais jamais vu un ordinateur. Alors dans l’idée d’un nouveau défi, je l’ai mis en premier choix. Puis je me suis prise au jeu: j’étais fascinée par son côté mystérieux. A l’EPFL, travailler avec des jeunes, ainsi qu’avec des collègues très qualifiés me permet encore de me remettre en question quotidiennement: ça me pousse à progresser. Qui peut dire qu’il apprend quelque chose tous les jours après 25 ans dans le même domaine ? Je pense que les jeunes devraient prendre conseil auprès de gens qui aiment ce qu’ils font plutôt que d’écouter ceux qui leur en parlent de manière négative. Cela leur permet de voir tout le potentiel de la carrière qui s’ouvre à eux.