«L'informatique, c'est comme les chips: il n'y en a jamais assez!»

Giovanni De Micheli © Giovanni De Micheli / EPFL 2022

Giovanni De Micheli © Giovanni De Micheli / EPFL 2022

Professeur à l’EPFL, Giovanni De Micheli a récemment été récompensé pour sa grande contribution à l’industrie de la conception de systèmes électroniques. Selon lui, il faut s’attendre à une autre décennie d’innovation rapide en matière de conception.

Giovanni De Micheli est un homme actif. Directeur du Laboratoire des Systèmes Intégrés, qui fait partie de la Faculté informatique et communications (IC) et de la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur (STI) de l’EPFL, il repousse les limites de l’informatique et de la conception électronique depuis plus de 40 ans. On lui doit l’invention du paradigme d’automatisation de la conception des réseaux sur puce (NoC). Ce paradigme permet la conception de puces à grande échelle comme celles utilisées dans les téléphones portables et les véhicules intelligents.

Sa contribution remarquable à la conception de systèmes électroniques lui a permis de recevoir le prix Phil Kaufman 2022, décerné chaque année par l’Electronic System Design Alliance et l’Institute of Electrical and Electronics Engineers (IEEE) Council on Electronic Design Automation (CEDA). «Je suis ravi parce que ce prix est décerné avec une forte contribution de l’industrie. Il est donc très lié à l’impact du travail que j’ai accompli et à la façon dont il a influencé l’évolution de la microélectronique», déclare Giovanni De Micheli.

Ayant une carrière de plus de trois décennies, Giovanni De Micheli constate que le domaine a beaucoup changé depuis ses débuts chez IBM. «La plupart des gens pensaient qu’il était impossible de concevoir du matériel comme un logiciel, en écrivant un programme et en le transformant en une puce: aujourd’hui c’est possible, et cette pratique de conception est courante. En fait, l’automatisation de la conception consiste à créer des systèmes complexes à partir de modèles de haut niveau.»

Alors que l’industrie électronique continue d’évoluer à un rythme effréné, Giovanni De Micheli ne voit aucune fin aux défis qui restent à relever. Il s’agit notamment de la nécessité de concevoir des systèmes de plus en plus complexes, intégrés dans des puces de silicium. La complexité de la conception peut être maîtrisée en utilisant des composants et en les interconnectant au moyen d’un réseau sur puce (NoC) qui incarne certains des principes des réseaux, comme Internet qui est aujourd’hui omniprésent dans notre vie quotidienne.

Contrairement à la plupart des gens, Giovanni De Micheli pense que la réduction de la taille des transistors se poursuivra pendant au moins une autre décennie, et que de nouveaux matériaux nous permettront de créer des accélérateurs spécifiques pour l’informatique. Cela pose de nouveaux défis pour la conception des puces car il faudra maîtriser un très grand nombre de transistors (plus de mille milliards dans une réalisation récente) et les propriétés physiques des dispositifs à l’échelle nanométrique.

La tendance vers un environnement informatique plus écologique a également abouti à une vision renouvelée de la conception électronique. L’énergie totale pour l’informatique représentera entre 5 et 10 % du budget énergétique mondial total, et cette proportion est en augmentation. «Au cours des 20 dernières années, la communauté de l’automatisation de la conception, ainsi que mon équipe, s’est beaucoup investie dans l’électronique à faible consommation. Cela implique des choix au niveau de la conception logique, comme la représentation des informations, et au niveau des dispositifs. Globalement, l’interconnexion structurée sur les puces, comme les NoC, a permis de réduire considérablement la consommation d’énergie sur puce.

Après avoir consacré quarante ans de sa vie à la recherche, Giovanni De Micheli confie qu’il apprécie toujours autant de relever de nouveaux défis. Certains n’ont jamais été résolus et d’autres sont nouveaux. «Un domaine qui va devenir extrêmement intéressant est celui des voitures intelligentes. Comme le téléphone, la voiture est un objet que tout le monde utilise. Nous aurons davantage de voitures électriques, ainsi que des véhicules à conduite assistée. Ce qui signifie qu’il devrait y avoir moins d’accidents», explique-t-il. «L’objectif final est une voiture entièrement autonome, mais pour y parvenir il faut surmonter des obstacles considérables en matière de conception et de technologie.»

Au-delà des applications des puces, l’électronique nous permettra de repenser les véhicules intelligents, où la conduite assistée/automatisée exploite la communication en temps réel entre les capteurs et les autres véhicules.

Les exigences relatives à la conception d’une voiture, qui s’apparente à un superordinateur sur roues, sont strictes et nécessitent l’intégration et la mise en réseau de nombreux dispositifs matériels, tels que des lidars et des radars, en plus des moniteurs de route, du moteur et du châssis de la voiture. Une partie des recherches de Giovanni De Micheli a pour but de combler l’écart entre l’électronique intégrée et les capteurs, et de trouver des moyens de concevoir les capteurs de manière structurée, de sorte que la modularité puisse accroître leur facilité d’interface et réduire le temps de conception.

Les recherches de Giovanni De Micheli ont un impact plus large sur les systèmes d’amélioration de la santé humaine et de surveillance de l’environnement, comme l’a montré le programme de recherche suisse Nano-Tera.ch qu’il a créé et dirigé. Ce programme vise à améliorer la société par l’utilisation de la technologie ainsi qu’à attirer les étudiantes et étudiants vers la recherche scientifique à grande échelle. Alors que les NoC ont profité de la mise en réseau dans le domaine microscopique, un facteur distinctif clé de Nano-Tera.ch est l’application de la mise en réseau à l’intérieur/autour du corps humain pour le suivi médical, et dans l’environnement pour sa protection.

Ses conseils aux étudiantes et étudiants qui entrent dans le domaine aujourd’hui? «Faites preuve d’audace et prenez des risques. Si vous vous contentez d’étendre l’état actuel des connaissances, vous progresserez lentement et votre travail sera de faible valeur. N’ayez pas peur d’échouer. Dans l’échec on apprend beaucoup pour la suite de sa carrière. En même temps, soyez ouverts et échangez avec les autres, car l’interaction physique est indispensable à notre développement intellectuel.»


Auteur: Tanya Petersen

Source: Sciences et techniques de l'ingénieur | STI

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