«L'IA a le potentiel de transformer les transports»

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Alexandre Alahi est le nouveau professeur tenure track en ingénierie des transports à la faculté ENAC. Rencontre.

L’ENAC accueille un nouveau professeur en ingénierie des transports, Alexandre Alahi. Après un doctorat à l’EPFL, il vient de passer cinq ans à l'Université de Stanford, comme postdoctorant et collaborateur scientifique. Il est de retour à l’EPFL comme professeur assistant tenure track.

Ses travaux sur le comportement des foules lui ont valu la reconnaissance de la communauté scientifique internationale. Il a par exemple analysé les types de marche de plus de 100 millions de piétons dans les gares ferroviaires, notamment en Suisse. Ses recherches contribuent de manière déterminante à définir l'avenir des transports et de la mobilité au moyen de méthodes innovantes. Celles-ci allient intelligence artificielle, apprentissage automatique (machine learning), vision par ordinateur et robotique à des concepts empruntés aux sciences sociales.

Qu’est-ce qui vous a poussé dans la voie de la recherche?

J’ai toujours rêvé de faire un métier qui soit utile à la société. Etant passionné par l’innovation, la voie de la recherche a été un choix naturel. Dès l’enfance, je me demandais comment créer des nouvelles inventions afin d’améliorer notre qualité de vie. Lors de mes études universitaires, j’ai trouvé passionnant les progrès des systèmes de communications et de l’informatique. Quelques années plus tard, je suis devenu fasciné par le vaste potentiel que possède l’intelligence artificielle pour assister l’être humain dans des tâches quotidiennes. Mes expériences et interactions avec l’industrie m’ont poussé à préférer la voie de la recherche dans un cadre académique où il est possible d'être plus audacieux, de proposer des changements plus radicaux et ambitieux.

Et pourquoi les transports?

Lorsqu’on regarde l’histoire de l’humanité, les transports ont eu un impact révolutionnaire, que ce soit sur notre qualité de vie, nos interactions humaines, nos échanges de biens, sans oublier sur l’économie en général. Nous sommes tous consommateurs ou bénéficiaires d’un système de transport au quotidien: en allant au travail, en faisant nos courses, en allant voir un proche… C’est un domaine d’une grande importance humaine qui, avec le temps, a été bouleversé par les progrès scientifiques. Actuellement, nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère où l’intelligence artificielle (IA) a le potentiel de transformer ce secteur. Elle peut améliorer la qualité du service, fournir une meilleure sécurité et, surtout, offrir de nouvelles solutions aux personnes à mobilité réduite (personnes âgées, non voyantes…).

Sur quoi vont porter vos recherches?

Mon laboratoire va développer une nouvelle forme d’intelligence artificielle, adaptée aux domaines des transports et de la mobilité. Jusqu’à présent, l’IA a été utilisée pour résoudre des problèmes bien définis, avec des règles bien connues, telles que jouer aux échecs ou au jeu de go, améliorer nos recherches en ligne, filtrer nos spams, recommander des films et, récemment, reconnaître des images. Or, quand on parle de transports, les problématiques auxquelles nous faisons face ne sont pas si bien définies. En termes de mobilité, les règles que nous nous imposons sont bien souvent abstraites et la plupart d'entre elles trouvent leur origine dans nos conventions sociales. Ce sont notre bon sens, notre courtoisie, notre respect pour autrui, ou notre empathie qui dictent nos choix de mobilité.

Toute la difficulté réside dans le fait que ces règles, bien que socialement admises, restent généralement informelles et peuvent varier d'une culture à l'autre. Notre laboratoire cherche à développer des systèmes de transport intelligents qui ont la capacité de comprendre et de s’adapter aux interactions humaines. Ainsi, un robot pourra assister une personne âgée tout en respectant les codes d’une cohabitation et se comportera d’une manière socialement acceptable. Les véhicules autonomes pourront s’intégrer naturellement dans l’écosystème actuel de nos villes. En innovant dans ce domaine, il ne faut pas négliger le rôle de l’éthique, une composante fondamentale lors de la conception de systèmes de transport au contact d’autrui.

En d’autres termes, des machines qui comprennent le comportement humain.

Lorsque l’on marche dans une foule, nous avons un langage corporel qui aide les autres à mieux anticiper ce que nous allons faire. Nous en sommes bien souvent inconscients. C’est de l’ordre du naturel. Les machines d’aujourd’hui n’ont pas cette cognition, cette lecture d’autrui, du futur. De même, nous respectons des règles sociales: si deux personnes discutent entre elles et qu’un robot a suffisamment d’espace pour passer entre elles (interrompre leur conversation), il va le faire alors qu’en pratique, il est préférable de les contourner, par respect à l’égard d’autrui. Nous voulons développer des méthodes et algorithmes qui apprennent ces comportements à partir des données d’observation sans devoir lister manuellement ces règles.

Comment?

Au lieu d’écrire des règles, on laisse les machines apprendre automatiquement les corrélations qui existent entre des données d'entrée brutes et un objectif ou une tâche donnée. C'est ce qu'on appelle le machine learning.Nous sommes en train de développer des plateformes autonomes qui pourront circuler sur le campus de façon intelligente afin de faire des livraisons ou guider des visiteurs, sans pour autant déranger les étudiants dans leur mobilité. Pour atteindre cet objectif, nous collectons des données sur la mobilité des personnes dans des foules, nous modélisons leurs interactions et nous développons des méthodes qui permettent d’anticiper le comportement de ces personnes pour pouvoir planifier au mieux la navigation de nos robots.

Comment se passe l’acquisition des données?

Nous sommes à une époque où tout ce que l’on fait peut être capturé de manière numérique, soit par des caméras, soit par des capteurs thermiques ou de proximité. Mais ces données sont brutes et nécessitent des algorithmes complexes pour extraire une information précise qui soit utile à une tâche donnée. Par exemple, grâce aux images d’une caméra, il est possible d’extraire les coordonnées des personnes dans l’espace et étudier leur interaction avec l’environnement.

C’est une question d’espace finalement.

Parfaitement. C’est pour cela que mon laboratoire est rattaché à la section du Génie civil et à l’ENAC. Les capteurs et les algorithmes donnent à l’espace une intelligence, une cognition, qui apportent une nouvelle dimension à la mise en place et à la conception des espaces à venir.