L'EPFL et Harvard dévoilent un projet commun en neuroscience

© CC PloS

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Lancement d’un projet commun de la Harvard Medical School et l'EPFL pour améliorer la qualité de vie des personnes souffrant de troubles
neurologiques.

Deux universités unissent leurs efforts pour rapprocher les neurosciences et l’ingénierie afin de soulager la souffrance que représentent les troubles neurologiques comme la paraplégie ou la surdité. Les scientifiques, ingénieurs et cliniciens de la Harvard Medical School (HMS) et ceux de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) entament une collaboration sur six projets d’avant-garde en neuroingénierie, rendus possibles grâce à un don de 3.6 millions de dollars de la Fondation Bertarelli. En mettant en commun les meilleures compétences en sciences médicales aux Etats-Unis et la grande expertise suisse en bioingénierie, les chercheurs vont s’appuyer sur les dernières technologies en thérapie génique, électronique flexible, imagerie optique et interfaces homme-machine pour tenter de réparer la moelle épinière et de remédier aux pertes auditives.

Le coup d’envoi de cette collaboration sera donné ce week-end des 28-29 octobre à Harvard, avec un symposium scientifique sur la neuroingénierie pour pallier les troubles sensoriels et moteurs, rencontre à laquelle vont participer les principaux pionniers mondiaux du domaine.

Six projets de recherche en neurosciences translationnelles

Sur cinq des six premiers projets scientifiques du Programme Bertarelli, les scientifiques de base et physiciens de la HMS vont travailler avec les bioingénieurs de l’EPFL afin de créer de nouvelles méthodes pour diagnostiquer et soigner une large gamme de problèmes auditifs allant des troubles d’origine génétique à ceux causés par le bruit. Un sixième projet s’appuiera sur les recherches innovantes menées en Suisse sur la stimulation de la moelle épinière et les fera passer au stade supérieur, en fixant des dispositifs électroniques extensibles directement sur la moelle épinière pour tenter de régénérer les liaisons sectionnées, grâce à une thérapie régénératrice par cellules souches.

Voir ce que l’on entend
L’un des défis majeurs du diagnostic des troubles auditifs est que le médecin ne peut pas voir les tissus et cellules de l’oreille interne. Ces dernières années, des microendoscopes ont été testés pour visualiser les cellules de l’oreille interne, mais ceux-ci nécessitent l’ajout de marqueurs fluorescents, peu pratiques pour les diagnostics sur l’homme. Dans le même temps, les physiciens ont élaboré des méthodes d’imagerie sans colorants. Pour ce projet, un physicien de l’EPFL va collaborer avec une chirurgienne otologiste afin de développer de nouvelles méthodes d’imagerie pour l’oreille interne humaine. Les chercheurs vont utiliser des tissus de l’oreille interne prélevés chez la souris et chez l’homme pour optimiser ces nouvelles méthodes de détection en vue d’apprendre, par exemple, comment voir à travers les os grâce à la lumière à grande longueur d'onde. La modélisation des cellules de l’oreille interne chez l’animal leur permettra de préparer le terrain pour d’éventuels essais cliniques.

Konstantina Stankovic, Harvard/ Mass. Eye & Ear Infirmary
Demetri Psaltis, EPFL


Thérapie génique pour vaincre la surdité héréditaire

Un enfant sur mille environ naît avec une forme ou une autre de déficit auditif, souvent dû à un gène mutant héréditaire. Depuis plus de dix ans, les scientifiques cherchent à corriger plusieurs troubles héréditaires par la thérapie génique, un processus par lequel des virus génétiquement modifiés transportent des gènes correcteurs vers les cellules affectées par le gène mutant. Les échecs des débuts ont fait baisser les attentes, mais de nouveaux essais sur l’homme affichent une belle réussite et ont fait renaître l’espoir de guérir certains troubles, notamment de l’audition. L’un des problèmes pour la thérapie génique, c’est que l’on ne connaît que peu de virus qui pénètrent les cellules sensorielles auditives. Un pionnier de l’usage de virus dans la physiologie des cellules auditives, qui travaille à la HMS et au Children’s Hospital Boston, va collaborer avec un expert de la thérapie génique sur l’homme de l’EPFL pour explorer de nouveaux virus capables d’acheminer des gènes dans ces cellules auditives. En rétablissant le fonctionnement des cellules sensorielles chez la souris par des mutations génétiques imitant la surdité chez l’homme, les chercheurs vont tenter de corriger la surdité héréditaire d’une souris vivante. Cette recherche pourrait ouvrir la voie au développement d’outils analogues pour rétablir l’ouïe chez l’homme.

Jeffrey R. Holt, Harvard/ Children's Hospital
Patrick Aebischer, EPFL

Guérir la surdité par la régénération

La perte d’audition chez les personnes âgées est due en grande partie à la mort de cellules sensorielles et de neurones dans l’oreille interne, causée par le bruit, les infections ou certains médicaments. Elle s’accompagne souvent d’acouphènes, une sensation de bourdonnement constant dans l’oreille. Ces cellules sensorielles ne se régénèrent malheureusement pas comme celles de la peau ou les cellules sanguines. Une première étape pour combattre cette perte auditive est d’apprendre à régénérer les cellules sensorielles et neurones de l’oreille interne. Les chercheurs de Harvard ont récemment réussi à isoler des cellules d’une oreille interne en développement et à les reprogrammer génétiquement pour qu’elles prolifèrent par millions dans une coupelle. Désormais, le défi est de les transformer en cellules auditives et nerveuses. Une experte mondiale du développement de l’oreille interne à la HMS va travailler étroitement avec un bioingénieur de l’EPFL particulièrement inventif. En observant les changements moléculaires qui s’opèrent dans les cellules de l’oreille interne lorsqu’elles prolifèrent, puis au moyen d’une plateforme de criblage microtechnique permettant de tester simultanément des milliers de composés, les chercheurs vont tenter d’identifier les facteurs capables de transformer les cellules proliférantes en cellules sensorielles ou en neurones. Ces facteurs seront enfin testés sur des souris sourdes de naissance ou en raison de leur environnement.

Lisa Goodrich, Harvard Medical School
Matthias Lutolf, EPFL

La surdité vaincue par des médicaments ?

Lorsque les scientifiques sauront régénérer les cellules auditives en laboratoire, il y aura encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir le faire sur un patient humain. Il s’agit d’administrer à l’oreille interne les bons médicaments ou composés chimiques, pour qu’ils arrivent au bon endroit, qu’ils se diffusent lentement sur plusieurs mois, et tout cela sans endommager les délicates structures de détection sonore. Pour ce projet, un pionnier de la régénération des cellules auditives à la HMS va travailler avec un bioingénieur de L’EPFL spécialisé dans l’ingénierie des protéines et les nanotechnologies afin de trouver de nouveaux moyens d’administrer des facteurs de régénération à l’oreille interne. Fixés sur des hydrogels ou enveloppés dans de révolutionnaires « polymersomes », ces facteurs seront absorbés par les cellules restantes et les reprogrammeront pour qu’elles prolifèrent et se muent en cellules sensorielles.

Zheng-Yi Chen, Harvard’s Massachusetts Eye & Ear Infirmary
Jeffrey Hubbell, Directeur de l’Institut de Bioingénierie de l’EPFL

Une nouvelle génération d’implants auditifs du tronc cérébral



L’implant cochléaire, un dispositif qui contourne les lésions de l’oreille interne en envoyant des signaux électriques directement au nerf auditif, est la neuroprothèse qui a rencontré le plus de succès ces dernières décennies, plus de 200'000 exemplaires en étant utilisés dans le monde. Cependant, une part significative de patients ne peut bénéficier d’un implant cochléaire et un vif intérêt s’est manifesté pour le développement d’une prothèse similaire contournant le nerf auditif en stimulant directement le tronc cérébral. Mais la plupart des tentatives ont eu des résultats mitigés, soit parce que la stimulation électrique ne permettrait pas une activation spécifique et discontinue, ce qui stimulerait un grand nombre de neurones, ou alors parce que les électrodes implantées ne sont pas suffisamment souples pour épouser le tissu nerveux. Les spécialistes de la HMS vont se pencher sur une stimulation optique du noyau cochléaire dans le tronc cérébral afin d’améliorer la sélectivité. L’EPFL va quant à elle développer des implants électroniques flexibles, combinant stimulation électrique et optique, conformes aux courbes du noyau cochléaire et plus faciles à manier lors de l’intervention chirurgicale.

Daniel J. Lee et Christian Brown, Harvard/ Mass. Eye & Ear Infirmary
Stéphanie P. Lacour, Philippe Renaud et Nicolas Grandjean, EPFL

Marcher à nouveau

Une lésion totale de la moelle épinière entraîne une paraplégie sans espoir de guérison, car le cerveau ne peut plus envoyer de signaux aux extrémités. L’EPFL a déjà fait de stupéfiantes découvertes sur la stimulation de la moelle épinière en utilisant des électrodes et des produits pharmaceutiques pour réveiller les circuits en sommeil qui contrôlent le mouvement des jambes : des animaux ont pu remarcher, mais involontairement. Pour que le mouvement soit volontaire, il faut que les signaux émanent du cerveau. La HMS travaille à réduire au silence deux gènes, ce qui pourrait conduire à la repousse des fibres nerveuses sectionnées lors de l’accident, contrant ainsi la blessure et rétablissant un mouvement délibéré des jambes sous l’effet d’une stimulation.

Zhigang He et Clifford Woolf, HMS/ Children's Hospital
Stéphanie P. Lacour et Grégoire Courtine, EPFL