L'atelier à distance...

final critics Studio Weinand, Autumn 2020 © 2020 IBOIS

final critics Studio Weinand, Autumn 2020 © 2020 IBOIS

L’atelier d’architecture a toujours été perçu et promu comme un espace particulier où la mesure du temps s’estompe, et où les cerveaux s’échauffent, s’inspirent et se confrontent.

Je me rappelle la visite des ateliers, menée par le Coaching à mon arrivée en première année d’architecture à l’EPFL ; « Vous verrez, arguait avec aplomb la coach qui nous conduisait à travers les étages, vous verrez, l’atelier, ce sera votre seconde maison. »
Incrédulité ou ingénuité, je ne l’avais alors pas crue. Jusqu’à ce que, une poignée de jours plus tard, je découvre, moi aussi, la (douloureuse) expérience du « mercrejeudi », concept redoutable et chronique d’une journée de travail qui n’en finit pas - à cette époque les jours d’atelier étaient en fin de semaine.
Or, durant toutes ces années, si l’apprenti architecte tient bon, malgré une charge de travail souvent (toujours) excessive, des maquettes parfois (souvent) approximatives, et un moral un peu (beaucoup) vacillant, c’est indéniablement grâce à cette effervescence, à toute heure du jour et de la nuit, ce bouillonnement d’idées tantôt novatrices ou farfelues, et ces échanges que les étudiants en architecture nourrissent et chérissent.

En 2018, Yves Weinand, directeur du Laboratoire des Constructions en Bois de l’EPFL, et enseignant du studio Weinand dispensé aux étudiants en première année de master, relevait la pertinence de ces interactions et leur nécessité : « L'atelier d'architecture peut être vu comme un modèle par les autres disciplines scientifiques ; son but est en effet de cultiver les échanges ainsi que les interactions au sein d'un domaine, et entre des domaines de recherche variés. »


Je ne vous apprends rien : la conjoncture, pourtant, ne se prête guère aux réunions et à l’échange. Depuis mars 2020, l’étudiant en architecture a bien intérêt à avoir son stock personnel de carrossier, de colle blanche et de calque, faute de quoi, il ne pourra qu’empoigner son masque, enfourcher son vélo et rouler jusqu’à Jumbo, en pestant contre sa mauvaise habitude d’emprunter-toujours-tout à ses collègues d’atelier.
Mais ce qui le préoccupe davantage, c’est le manque de perspectives et de recul sur son travail et l’impossibilité de nourrir ses recherches conceptuelles par l’interaction.

Lauriane, étudiante en master à l’atelier Weinand, déplore ce manque d’échange, qui pèse sur la qualité du travail fourni et du projet en général : « Nous ne sommes pas inspirés et stimulés par les documents des autres ». Sentiment relevé également par Carla et Alessia, toutes deux originaires d’Espagne, qui effectuent une année d’échange à l’EPFL : « C’est essentiel de partager les revues de projet avec tout l’atelier (..) Les échanges au sein de l’atelier ont toujours largement bénéficié à mon travail. Il ne s’agit non pas de copier ce que les autres font, mais (…) d’analyser des réponses différentes à un problème initial commun ».


De nouveaux problèmes d’ordre logistiques voient également le jour. Dans un atelier, comme l’atelier Weinand, où l’apprentissage de logiciels paramétrique est essentiel au développement du projet, il devient plus compliqué pour les étudiants de suivre simultanément un workshop Zoom et tester un logiciel, sur leur seul écran de laptop. Ici encore Lauriane souligne que « récupérer un deuxième écran de travail n'est pas un luxe que tout le monde peut se permettre». Enfin, là où l’atelier offrait un environnement de travail avec un bureau et un casier attribués à chaque étudiant, nombreux sont celles et ceux qui souffrent d’un manque de place et de calme propices au travail dans leurs colocations – souvent leur chambre, ou dans le foyer familial. En écrivant ces lignes, je réalise la richesse de toute l’infrastructure à disposition à l’EPFL, et la perte aussi bien académique que sociale et relationnelle qui résulte de ce confinement.
Finalement forcés aux téléétudes, les étudiants font face aux mêmes difficultés, l’indépendance financière en moins que les professionnels, l’impératif de réussite en plus.

Lueur dans ce portrait bien sombre : le développement de nouveaux outils numériques, à l’image du scanner 3D ou encore des logiciels paramétriques, offre aux étudiants une nouvelle appréciation et des outils de travail ludiques. À l’atelier Weinand, les projets de semestre de printemps et d’automne 2020 portait sur une réaffectation de bâtiments historiques à l’abandon. Au début du semestre les étudiants ont pu se rendre sur place et réaliser un scan complet du bâtiment. À l’aide de technologies utilisées au laboratoire Ibois, ils ont ensuite appris à travailler sur cette 3D en nuage de points, extrêmement précise, tout au long du semestre, dans laquelle ils pouvaient se promener, presque comme si il y étaient… Mais n’ont pu réaliser le prototype à l’échelle 1/1 initialement au programme.

De l’autre côté de la barrière, la tâche s’avère également très complexe pour les assistants d’atelier. Je l’ai constaté ces dernières années, les assistants s’investissent beaucoup (énormément) dans l’atelier, et accordent une grande importance au suivi de projet de chacun. L’assistant est, pour les étudiants, une personne de référence. Généralement jeune professionnel ou chercheur, pas si loin des études mais expérimenté, plus accessible que le professeur, l’assistant gère à la fois la logistique générale, l’organisation du semestre, et la logistique émotionnelle liée à la crise sanitaire.
Là où, d’ordinaire, il suffisait d’un coup de crayon sur un plan, pour ajouter un porteur à une structure peu crédible ou suggérer une cohérence conceptuelle, il faut aujourd’hui comprendre sans papier, expliquer sans crayon, guider sans rencontre. Les outils de l’étudiant et de l’assistant changent, et avec eux la relation évolue. Il s’agit de développer un nouveau langage.

À l’Ibois, depuis plusieurs années la recherche et l’enseignement sont étroitement liés. Tout comme les doctorants ont dû adapter leurs expérimentations et calendrier de recherche, ils accommodent leur enseignement aux outils à disposition. La distance imposée ne permet plus aux étudiants de poser leurs questions en direct, alors il faut mettre en place d’autres canaux de communication : un workshop dédié aux outils digitaux, des critiques à distance, des heures de permanence pour répondre aux questions liées à un logiciel, le partage de fichier sur un « tableau » en ligne, un groupe Whatsapp
Quant aux critiques, spécificité chère aux architectes, intermédiaires ou finales, elles se tiennent via Zoom. Exercice périlleux pour les étudiants qui doivent savamment agencer leurs slides, tandis que pour les professeurs, la compréhension générale du projet est troublée par un manque d’aperçu global.


Sans aucun doute, ces derniers mois participent à un changement radical dans la manière d’enseigner. L’adaptation et la résilience provoqués par la pandémie met en branle les certitudes, les habitudes mais également le langage acquis jusqu’alors. Et l’équilibre est précaire.

L’atelier d’architecture tient un rôle central dans cette épreuve, car c’est ici que l’étudiant est humanisé, connu et reconnu dans son individualité, à la différence des cours en amphithéâtre. C’est aussi au sein de l’atelier que l’étudiant trouve une source inépuisable de stimulation pour développer une autonomie conceptuelle et un esprit critique. Il est essentiel de maintenir un contact aussi régulier que possible avec l’équipe enseignante, et de renforcer les échanges entre étudiants.

L’effort unanime et l’endurance de chacun n’est pas vain, et témoigne d’une même passion pour continuer à apprendre, découvrir, enseigner, comprendre et partager. L’énergie et l’engagement de chacun et chacune doit être souligné et remercié. À vous tous et toutes, étudiants et étudiantes qui lisez ces lignes, accrochez-vous, discutez entre vous, n’ayez pas peur de poser des questions, ni de vous manifester ou de demander conseil et soutien. Nourrissez-vous de culture, de livres, de projets, de nouveaux outils, et par-dessus tout : échangez.
Vous nous manquez.


Violaine Prévost
architecte EPFL