L'agitation du vin fait aussi tourner les bioréacteurs

© 2011 EPFL

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Chaque amateur sait qu’il faut faire tourner le vin dans un verre pour qu’il exhale son bouquet. Ce geste anodin, appliqué aux biotechnologies depuis une quinzaine d’années, a permis de développer des machines beaucoup plus performantes pour la culture de protéines dans des cellules animales. Le phénomène a été décortiqué à l’EPFL.


D’abord le verser lentement. Humer une première fois. Puis imprimer au verre, tenu par le pied, un très léger mouvement circulaire. Sentir à nouveau. Recommencer en agitant à chaque fois le verre un peu plus fort pour aérer le nectar. Voilà comment on doit s’y prendre pour pouvoir saisir toute la complexité du bouquet d’un vin.

Nul ne contestera le bien-fondé de ce protocole, que chacun reproduit plus ou moins intuitivement sitôt qu’il s’agit de déguster un grand cru ou de mélanger un café si l’on n’a pas de cuillère. Quant à expliquer précisément les phénomènes de mécanique des fluides à l’œuvre durant cette opération, qualifiée d’«agitation orbitale», c’est une autre affaire !

Des bioréacteurs «sur orbite»
Professeur au Laboratoire de biotechnologie cellulaire de l’EPFL, Florian Wurm utilise depuis longtemps des bioréacteurs fonctionnant selon ce principe, et la connaissance intuitive que l’agitation orbitale provoque un mélange à la fois doux et performant. La spin-off qu’il a créée et qui utilise de tels appareils, ExcellGene, vient tout juste de souffler dix bougies. «Nous utilisons ce principe dans des réacteurs de toute taille, avec des cellules animales qui peuvent ainsi produire des protéines recombinantes de façon particulièrement efficace, annonce-t-il. Nous sommes en train de tester, en partenariat avec l’EPFL et la société Kühner AG, l'un des plus grands bioréacteurs à agitation orbitale du monde, d’un volume dépassant 3000 litres.»

Dans les bioréacteurs classiques, le contenu est remué par une pièce tournant au fond d’un récipient. En les remplaçant par des agitateurs orbitaux (où la cuve entière subit elle-même un mouvement), Florian Wurm affirme pouvoir faire baisser fortement le coût de fabrications de ces protéines, utilisées notamment par l’industrie pharmaceutique. «Les cellules de culture reçoivent moins de chocs, le mélange est plus homogène, il peut se faire sous atmosphère normale au lieu d’oxygène pur, et cette technique nous permet de construire des bioréacteurs plus larges et moins hauts, donc plus facile à installer dans des locaux de dimensions standard, ajoute-t-il. En outre, nous utilisons de grands «sacs» jetables pour y faire nos cultures, ce qui diminue encore les coûts d’entretien.»

Des vagues complexes
Pour dépasser le savoir empirique et mieux comprendre ce qui se passe au juste dans un récipient que l’on agite, Martino Reclari, doctorant au Laboratoire de machines hydrauliques (LMH) de l’EPFL s’est penché sur le mouvement qu’exercent les amateurs de vin sur leur verre. «La forme de la surface libre, celle qui est en contact avec l’air, se révèle bien plus complexe que ce à quoi on pouvait s’attendre, explique-t-il. Par conséquent, les phénomènes d’échanges entre le liquide et l’atmosphère, soit l’aération du vin, sont extrêmement difficiles à modéliser.» De très nombreuses formes de vagues ont été décrites. «Leur variété est infinie», ajoute le chercheur.
Ses travaux, présentés la semaine dernière lors du congrès de l’American Physical Society, ont permis de mettre en lumière l’effet de deux variables – la vitesse de rotation et l’amplitude du mouvement, le tout en fonction de la dimension du récipient et de la hauteur du liquide – sur la forme de la vague qui sera générée. Les chercheurs ont pu constater que le liquide se mélangeait non seulement de haut en bas, le long de la vague qui se forme sur les bords du verre, mais aussi du centre vers la périphérie. Martino Reclari, qui s’est approché de la section d’œnologie de l’école d’ingénieurs de Changins, a élaboré des modèles visant à déterminer quel type d’agitation convient le mieux à quel verre et à quel vin.

Des recherches à petite échelle qui pourront être extrapolées pour satisfaire les besoins des acteurs du secteur biotechnologique. «Nous avons déjà pu établir qu’avec trois paramètres constants, nous pouvons reproduire une même forme de vague quelle que soit la taille du récipient, explique Mohamed Farhat, maître d’enseignement et de recherche au LMH. Nos modèles numériques, réalisés avec la Chaire de modélisation et de calcul scientifique du professeur Alfio Quarteroni, nous permettront de calculer les meilleurs paramètres à appliquer pour chaque application spécifique, y compris dans le domaine de la culture cellulaire.»