"Je vois la beauté de la science dans les choses du quotidien."

Mackenzie Mathis. Crédit: Alain Herzog (EPFL)

Mackenzie Mathis. Crédit: Alain Herzog (EPFL)

Neuroscientifique accomplie s’intéressant à la base neuronale des comportements moteurs adaptatifs, Mackenzie Mathis a récemment rejoint la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL en tant que titulaire de la chaire Bertarelli de neuroscience intégrative au Institut des neurosciences.

Pouvez-vous nous parler un peu de votre expérience ?

Avant d’intégrer l’EPFL, j’étais boursière « Rowland Fellow » à l’université de Harvard. Cette bourse m’a permis de lancer mon propre laboratoire tout de suite après mon doctorat en 2017. Puis, nous avons transféré le laboratoire ici l’été dernier.

Sur quoi travaillez-vous ?

Nous sommes un laboratoire de neurosciences des systèmes. Nous nous intéressons beaucoup aux circuits neuronaux, à la manière dont ils contrôlent les comportements, et en particulier aux animaux et à leur façon de s’adapter aux changements rapides dans leur environnement. Si l’on regarde les innombrables circuits neuronaux impliqués – du cortex qui contrôle les mouvements habiles de la main jusqu’à la moelle épinière – il y a énormément de « boucles » interconnectées dans le cerveau. Il est difficile de comprendre comment tout cela peut s’orchestrer de manière aussi harmonieuse et robuste. Nous tentons depuis longtemps d’y apporter une réponse par les techniques modernes et en utilisant les souris comme système modèle.

Notre laboratoire investit également beaucoup dans de nouveaux outils d’apprentissage machine. Nous créons des outils qui permettent de suivre les mouvements de la souris de manière très fidèle. Cela revient à faire de la capture de mouvement, mais sans marqueurs. Par exemple, dans des films comme « Avatar », les acteurs portent des tenues de capture de mouvement. Mais les souris n’aiment pas porter de costumes, et c’est aussi le cas de nombreux autres animaux comme les guépards ou les animaux aquatiques. Il est donc très utile de pouvoir le faire de manière non invasive, sans marqueurs sur les animaux.

En 2018, nous étions les premiers à associer la capture de mouvements humains sans marqueurs avec l’apprentissage profond, en ayant très peu recours aux annotations de données manuelles pour les animaux. Vous définissez les principaux points que vous souhaitez suivre sur l’animal, puis vous exploitez ces réseaux neuronaux profonds pour le faire automatiquement pour vous.

Cela représente la majeure partie de notre recherche ces dernières années, non seulement pour le suivi des minuscules pattes avant des souris, mais aussi pour l’élargissement à beaucoup d’autres domaines. C’est passionnant de participer à cette recherche en tant que concepteurs. Notre progiciel DeepLabCut a été téléchargé 160 000 fois ces deux dernières années, ce qui en fait un outil largement utilisé en neurosciences, éthologie et même dans les essais cliniques. Récemment, Atlantic et Bloomberg ont rédigé un article à ce sujet.

Quels sont les grands moments dans votre recherche ?

La science n’est pas jalonnée de nombreuses étapes où vous êtes constamment récompensé. Vous devez être passionné par votre travail. Les moments les plus passionnants, à titre personnel, sont probablement ceux où l’on se retrouve dans une pièce à faire une expérience qui aboutit à une découverte qu’on est peut-être la seule personne à avoir faite dans le monde. Bien entendu, aujourd’hui en tant que professeur, ce sont aussi les moments où je vois cet enthousiasme et cette joie chez les étudiants.

Je vois la beauté de la science dans les choses du quotidien. Sans cela, ce serait à mon avis très difficile d’être scientifique.

Put the author here

La philosophie de notre laboratoire est de « sabrer le champagne » quand nous publions une version pré-imprimée ou présentons un article, pas nécessairement quand c’est validé (honnêtement, nous le faisons peut-être dans les deux cas). Mais le plus gratifiant c’est quand vous décidez de faire partager au monde quelque chose d’intéressant et que vous êtes impatient d’avoir les avis de vos collègues. Il devrait y avoir beaucoup de fierté et de satisfaction au moment de terminer des travaux.

Pourquoi avez-vous choisi l’EPFL ?

Je m’intéressais beaucoup à cette communauté de chercheurs. L’EPFL est vraiment l’un des seuls endroits au monde où les compétences en science informatique, ingénierie et neurosciences sont exceptionnelles, notamment en neurosciences motrices, qui est notre sous-domaine de travail. Faire partie d’une communauté ayant de tels groupes de recherche, c’est ce qui m’a vraiment fait choisir l’EPFL.

Quels sont vos projets ?

Nous nous intéressons à la manière dont les animaux peuvent adapter dynamiquement leur comportement. Et cette adaptation prend de nombreuses formes. Nous avons lancé un programme de recherche qui porte sur cet aspect, de l’apprentissage de « jeux d’habileté » de la perspective des souris à des comportements plus écologiques, où les animaux interagissent avec leur environnement quotidien. Le thème général est que nous voulons comprendre ces systèmes intelligents à partir de plusieurs perspectives : comment les circuits neuronaux permettent-ils cette adaptation ? Pouvons-nous intégrer certaines de ces règles adaptatives aux systèmes d’intelligence artificielle réels ? Ainsi, l’approche intégrative dans notre laboratoire se situe entre l’intelligence naturelle et l’intelligence artificielle. Nous tentons d’apprendre de ces deux domaines pour améliorer l’intelligence artificielle.

L’autre perspective fondamentale, et un domaine dans lequel nous voulons avancer, concerne les applications thérapeutiques. Je pense que nous ne pouvons pas complètement parvenir à développer de nouveaux médicaments ou stratégies de réadaptation pour le système moteur sans comprendre comment toutes ces boucles de contrôle hiérarchique complexes et différentes interagissent. Nous adoptons donc une approche de science fondamentale, mais nous espérons que la création d’outils comme DeepLabCut et les nouveaux outils de vision par ordinateur qui peuvent être utilisés dans les établissements thérapeutiques est une étape dans cette direction. Nous espérons aussi qu’en cherchant à comprendre les circuits neuronaux, nous pourrons utiliser nos connaissances de manière plus ciblée pour les traitements thérapeutiques de demain, ce qui bien sûr pourrait prendre plusieurs années.

Je pense que c’est un autre avantage à faire partie de l’EPFL, et que cela encourage un entrepreneuriat dynamique et une culture interdisciplinaire. Nous souhaitons vraiment collaborer avec des laboratoires qui ont aussi les mêmes axes de travail pour créer des solutions évolutives et robustes.