«Je me remets sans cesse en question»

Cécile Hébert transmet à quelque 200 non physiciens de première année les notions de base en physique générale. © Alain Herzog 2019 EPFL

Cécile Hébert transmet à quelque 200 non physiciens de première année les notions de base en physique générale. © Alain Herzog 2019 EPFL

Testant régulièrement de nouveau outils et méthodes d’enseignement, Cécile Hébert est lauréate du prix de meilleur enseignant de la section de physique.

Au cœur de la section de physique, il y a un bureau entouré de verdure, où poussent tomates cerises, herbes aromatiques ou encore citronnier. C’est celui de Cécile Hébert, chercheuse à la main verte et première professeure de physique engagée à l’EPFL, il y a douze ans. Un rôle de pionnière qui colle parfaitement à la responsable du laboratoire de spectrométrie et microscopie électronique, toujours en quête d’innovation. Se remettant régulièrement en question et n’hésitant pas à tester de nouveaux outils et méthodes d’enseignement, la chercheuse est cette année lauréate du prix du meilleur enseignant de la section de physique.

Et pourtant, cette française d’origine, spécialiste de la microscopie électronique à transmission, n’a pas la tâche facile. Son défi ? Transmettre à quelque 200 non physiciens de première année aux parcours variés les notions de base en physique générale. Trois heures de cours et trois heures d’exercices par semaine pour une matière dense. «J’essaye de les habituer à prendre un problème, à le décomposer, à le modéliser, à utiliser leurs connaissances en mathématiques et à remettre en question le résultat obtenu. Mais tous n’ont pas appris la physique de la même manière et certains sont déstabilisés.»

Nouveaux outils interactifs

Plusieurs années d’échanges avec un enseignant de gymnase lui ont permis de mieux cerner les difficultés des étudiants et d’adapter les exercices. Pour garder l’attention de son auditoire, elle intègre dans son cours des expériences liées aux quotidien, car les concepts de physique peuvent s’expérimenter partout. Un exemple ? Lors d’un trajet en métro M2, il suffit de fermer les yeux peu avant le freinage pour constater la force d’inertie.

Pour encourager les interactions, la professeure utilise aussi SpeakUp, une application qui permet aux étudiants de poser des questions de manière anonyme et de voter pour celles qu’ils jugent les plus importantes. «Je réponds en classe aux questions qui ont remporté le plus de votes et cela fonctionne bien.» Depuis le semestre de printemps, elle a aussi élaboré des Jupyter Notebooks, des cahiers programmables qui permettent de modéliser les expériences et de donner aux étudiants accès aux équations qui se cachent derrière. «Cela évite le côté boîte noire, inadapté à une formation d’ingénieur, qui existe avec d’autres programmes.»

Surmonter les obstacles

Avec des parents architectes, Cécile Hébert n’a pas baigné depuis l’enfance dans le milieu scientifique, mais depuis le lycée étudier la physique et les mathématiques était pour elle une évidence. La physicienne, qui a effectué un doctorat à l’Ecole centrale de Paris et un postdoctorat à l’Université technique de Vienne, a-t-elle parfois ressenti des difficultés dans ce milieu encore très masculin ? «Dans le cadre de mon travail, je ne me suis jamais sentie discriminée en tant que femme. Par contre l’organisation de la société, du moins en Suisse, est un problème, notamment en matière de garde des enfants.» Elle a plusieurs fois fait face à des remarques sur son choix de poursuivre à plein temps sa carrière de professeure en étant mère de deux enfants. Et faute de moyen de garde, elle a parfois dû donner son cours en présence de sa fille et son fils, désormais âgés de 15 et 16 ans. «Lorsque je n’avais pas le choix, je les prenais avec, ils restaient à côté de moi et ils dessinaient pendant le cours. Ils ont toujours été très sages», sourit la physicienne. D’ailleurs, ses deux enfants s’orientent vers un cursus scientifique.

A la base, Cécile Hébert désirait devenir astrophysicienne, désormais, elle se tourne plutôt vers la terre. La chercheuse collabore notamment avec James Badro pour analyser les propriétés des matériaux composant le manteau terrestre. Le microscope à électrons offrant une résolution quelque 100'000 fois plus petite qu’un microscope optique et des mesures extrêmement précises. La physicienne a soif d’apprendre autant que de transmettre. Il y a quelques années, elle s’est rendue en Tanzanie via une fondation qui promeut l’éducation sur place. Elle y a dispensé une semaine de cours intensifs en thermodynamique à des enseignants de gymnase.

En début d’année, en collaboration avec son collègue Alexander Duncan, elle a réalisé un MOOC sur la microscopie électronique à transmission. Les deux enseignants utilisent ce MOOC dans leur cours Master dédié aux étudiants de physique et de matériaux. Un cours qu’ils donnent depuis deux ans partiellement sous forme de classe inversée et dans lequel les étudiants peuvent expérimenter un microscope électronique. «Depuis que nous avons mis en place ce format, nous avons remarqué une nette amélioration du résultat de l’examen, qui est passé de 4.46 de moyenne à 5.24. C’était donc une aventure épuisante mais bénéfique ».