Interview du prof. Filipovic sur le thème du swap de longévité

© 2017 Prévoyance Professionnelle Suisse

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Précurseur dans l’utilisation d’instruments financiers couvrant le risque de longévité, le Royaume-Uni n’a pas vraiment fait école. Le professeur Damir Filipović, titulaire de la chaire Swissquote de finance quantitative et responsable du Swiss Finance Institute @EPFL, a accordé une interview à la revue de la Prévoyance Professionnelle Suisse dans laquelle il fait le point sur les possibilités existantes. L'intégralité de l'article est publié ci-dessous.

L’incertitude quant à l’espérance de vie des assurés constitue un risque majeur pour un fond de pension. En outre, pour les entreprises ayant une caisse de pension autonome la mode est au derisking pour éviter un effritement de leur bilan sous la pression des engagements de prévoyance. D’où l’essor du transfert de risque de longévité. Un tel transfert peut prendre la forme classique d’un contrat d’assurance ou passer par l’achat d’instruments financiers spécifiques. Utilisés au Royaume-Uni et dans une moindre mesure aux Etats-Unis et au Canada, ces instruments sont loin de représenter une classe d’actifs traitée dans le monde entier. D’autant qu’ils sont négociés de gré à gré (OTC). Un rapport consacré aux marchés du transfert de risque de longévité a été publié en décembre 2013 suite à un forum sur ce thème ayant réuni à la Banque des règlements internationaux, le Comité de Bâle, l’Organisation internationale des commissions de valeurs et l’Association internationale des contrôleurs d’assurance.

Pour l’heure, si des assurances suisses ont déjà émis de tels instruments financiers pour des clients étrangers il semble que les banques n’en aient jamais créé, la demande n’ayant pas émergé en Suisse pour ce type de produits. «En principe, il est possible d’émettre librement des swaps de longévité et d’éventuelles obligations indexées sur la longévité», précise Tobias Lux, porte-parole de l’Autorité de surveillance des marchés financiers. «De tels instruments financiers ne sont pas soumis à une autorisation. Toutefois, si de tels produits d’investissement étaient intégrés à un fonds de placement relevant de la LPCC (Loi sur les produits collectifs de capitaux), ce fonds devrait être approuvé par la FINMA.»

M. Filipović, quelles sont les techniques utilisées pour couvrir le risque de longévité? Une des façons classiques de couvrir ce risque est le buy-out: le régime de retraite transfère la totalité de ses actifs financiers et des engagement pris envers ses rentiers à un réassureur contre paiement d’une prime. Dans le cas d’un buy-in, l’organisme de retraite conserve sa fortune et reste juridiquement garant des promesses de prestations faites à ses assurés, mais il verse une prime à un assureur en échange de paiements périodiques correspondant aux montants réellement versés aux rentiers. Ces deux techniques sont utilisées par les caisses de pension suisses par le biais de contrats conclus auprès de compagnies d’assurance.

Certains instruments financiers permettent- ils également de transférer le risque de longévité? Avec un swap de longévité, un fond de pension verse des primes périodiques à une contrepartie – réassureur ou banque d’investissement dans les pays où ils sont proposés – en échange de la garantie de recevoir régulièrement des paiements correspondant à la différence entre les prestations que le fonds de pension doit réellement verser à ses rentiers et les versements qui étaient prévus. Ces swaps de longévité sont généralement construits sur la base d’un indice de longévité qui sert de référence lors de la conclusion du contrat. En théorie, des assureurs ou réassureurs pourraient être intéressés à émettre de tels intruments puisqu’ils sont confrontés à deux risques opposés: le risque de mortalité et le risque de longévité. Mais ces deux risques peuvent devenir extrêmes, par exemple en cas de pandémie pour la mortalité ou avec de nouvelles découvertes médicales pour la longévité. En outre, ils sont difficiles à quantifier. Des swaps de longévité ont été émis à l’étranger, notamment au Royaume-Uni.

Certaines banques ou assurances ont-elles aussi proposé à l’étranger des obligations indexées sur la longévité? De telles obligations devraient verser des coupons variables selon l’augmentation réelle de la durée de vie des rentiers par rapport aux projections des tables de mortalité faisant référence. Le fonds de pension qui voudrait se couvrir par ce biais devrait verser une somme importante à la souscription, tout en s’exposant à un risque important de contrepartie si l’espérance de vie augmentait fortement. Le rapport sur les marchés du transfert de risques de longévité établi en décembre 2013 sous l’égide de la BRI a montré que les quelques tentatives de lancement d’obligations de ce type n’ont pas été couronnées de succès.

Quels sont les avantages et inconvénients de ces différentes formes de transfert du risque de longévité pour un fond de pension et pour l’autre partie à la transaction? Avec un buy-out, le fonds de pension transfère ses actifs et ses risques de longévité et de placement à l’assureur qui devient seul responsable du paiement des rentes. D’où un prix relativement élevé demandé par les compagnies d’assurance pour conclure un buy-out.

Peut-on toutefois définir un profil type de caisse de pension qui aurait intérêt à conclure un buy-out? Cette solution peut être intéressante pour de petites caisses n’ayant pas un effectif d’assurés suffisamment important pour bien répartir les risques de morbidité, de mortalité ainsi que le risque de longévité associé à certains titulaires de hauts revenus. Dans ce cas, la prime demandée par une assurance – qui, par définition, mutualise les risques sur ungrand nombre d’assurés – peut être financièrement intéressante et offre une meilleure prévisibilité des coûts de la prévoyance pour une PME.

Quels sont les plus et les moins d’un buy-in? Le fonds de pension acquiert par le paiement d’une prime la garantie que les versements promis aux retraités seront assurés même si ces derniers ont une durée de vie réelle supérieure à l’espérance de vie moyenne de leur classe d’âge. Là aussi, la caisse de pension doit faire une pesée d’intérêt entre le coût d’une gestion interne de ce risque et celui de son transfert à une assurance. Avec, toutefois, un risque supplémentaire: celui d’un défaut de la contrepartie puisque la caisse de pension reste juridiquement responsable du versement des prestations à ses assurés.

Avec un swap de longévité, le fonds de pension a également la garantie que les futurs paiements aux rentiers seront entièrement pris en charge par l’autre partie au contrat? Pour autant qu’il n’y ait pas un défaut de la contrepartie. Potentiel défaut qui constitue le risque principal pour le souscripteur d’un swap de longévité. Par ailleurs, ces instruments financiers étant négociés de gré en gré (OTC), il n’y a pas de marché secondaire permettant de gérer leur valeur au fil du temps. Quant à l’autre partie au contrat – compagnie d’assurance ou banque d’investissement – elle est confrontée au risque d’assymétrie d’information: ici, l’état de santé du collectif d’assurés à reprendre. Or, l’assymétrie d’information est l’un des éléments constitutifs d’un marché n’assurant pas la transparence de l’information garante du juste prix. La compagnie d’assurance prend également un risque d’aléa moral: déchargé de ses responsabilités financières envers les futurs rentiers, l’employeur pourrait être moins rigoureux dans le suivi des risques d’invalidité; augmentant ainsi les futurs versements à la charge de l’assureur. En outre, compte tenu des exigences élevées de fonds propres imposées par le Test suisse de solvabilité (SST) aux assureurs sur la vie de ce pays, les swaps de longévité qu’ils pourraient émettre seraient peut-être proposés à un prix non compétitif pour les caisses de pension. On peut toutefois noter que le SST pourrait comporter une exigence de capital spécifique au risque de longévité pour les assureurs vie qui permettrait d’envisager le lancement de tels intruments financiers en Suisse.

Comment expliquer que le marché des swaps de longévité se soit développé au Royaume-Uni et, dans une moindre mesure, aux Etats-Unis et au Canada? Dans ces pays, les contributions de l’employeur au système de prévoyance maison pèsent directement sur le bilan de l’entreprise. D’où une demande plus forte des entreprises pour disposer d’instruments leur permettant de transférer le risque de longévité.

Ces nouveaux instruments financiers créent-ils de nouveaux risques systémiques? Lors du lancement de tels instruments, le régulateur doit garantir qu’une information transparente soit fournie aux investisseurs prêts à les acheter pour qu’ils comprennent bien les avantages et inconvénients de ce produit. Le rapport de la BRI constatait en 2013 que le marché des instruments financiers de transfert du risque de longévité (LTR) n’était pas assez large pour créer un risque systémique et c’est toujours le cas. A terme, le risque d’opacité augmenterait avec le nombre d’intervenants présents sur la chaîne du transfert du risque de longévité: le vendeur initial du risque et l’acheteur final étant de plus en plus éloignés l’un de l’autre.

Des recherches universitaires sur le transfert de longévité sont-elles menées en Suisse? Une étude sur un éventuel swap intergénérationnel entre gouvernements de deux pays a été publiée en 2010 dans The Journal of Risk Finance par deux chercheurs des universités de Genève et Zurich et du Swiss Finance Institute. Cette recherche démontre l’intérêt d’un tel swap entre un pays ayant une population plutôt âgée confronté à un risque de longévité, tel la Suisse, et un autre avec beaucoup de jeunes confronté à un risque de croissance économique insuffisante, tel l’Egypte, et modélise l’innovation financière qui permettrait un tel transfert de risques. Par ailleurs, le Swiss Risk and Insurance Forum 2015 – qui a réuni des praticiens de l’assurance, des universitaires et des représentants des autorités de régulation – avait pour thème «Old-age provision: past, present, future». Les actes de ce colloque, qui a notamment abordé le thème du transfert des risques d’assurance aux marchés financiers, seront prochainement publiés dans une revue universitaire.