Gioele La Manno, premier bénéficiaire du programme ELISIR

Gioele La Manno (credit: G. La Manno)

Gioele La Manno (credit: G. La Manno)

Le Dr Gioele La Manno est le premier universitaire à bénéficier du programme ELISIR, une bourse d'études révolutionnaire instaurée par l’EPFL qui permet aux titulaires d'un doctorat exceptionnellement talentueux d’obtenir l’indépendance habituellement acquise bien plus tard dans la carrière d’un chercheur.

L’une des difficultés auxquelles sont aujourd’hui confrontés de jeunes scientifiques exceptionnellement talentueux est l’absence de postes qui leur permettent d’être indépendants dès le début de leur carrière de chercheur. Les titulaires d'un doctorat qui souhaitent poursuivre une carrière universitaire doivent généralement consacrer des années à un ou plusieurs « postdoctorats » (autrement dit des contrats à durée déterminée dans un laboratoire universitaire permanent) avant de pouvoir obtenir un poste qui leur permette de diriger leurs propres groupes de recherche. 

Mais diverses institutions américaines comme le MIT, l’UCSF et le Cold Spring Harbor Laboratory ont récemment commencé à proposer des alternatives aux programmes traditionnels de bourse d’études postdoctorales. Ces nouvelles bourses universitaires permettent aux titulaires d'un doctorat possédant un excellent parcours d’obtenir une indépendance immédiate pour diriger leurs propres laboratoires et entreprendre des recherches avant-gardistes et novatrices dès le début de leur carrière.

L’EPFL a, quant à elle, lancé son propre programme baptisé ELISIR pour EPFL Life Sciences Independent Research, ce programme est dirigé par la Faculté des sciences de la vie. L’ELISIR repose sur l’idée selon laquelle encourager les jeunes scientifiques de plus haut niveau pendant les années les plus créatives de leur carrière peut ouvrir les portes à une nouvelle génération de dirigeants. Le poste non titularisé est octroyé pendant trois ans, avec possibilité de le prolonger pendant deux autres années ; il offre au tout nouveau titulaire d'un doctorat un budget de recherche complet, un programme de tutorat et la possibilité de travailler en tant qu’investigateur principal indépendant dans une institution interdisciplinaire dotée d’une infrastructure de pointe et d’installations essentielles.

« Le lancement de l’ELISIR a été formidable » déclare le Professeur Pierre Gönczy qui dirige le programme. « Qu’un tel programme réponde à un besoin ne fait aucun doute au vu, notamment, de la qualité impressionnante des jeunes scientifiques qui ont posé leur candidature. »

Le premier appel à candidatures s’est clôturé au printemps dernier, et le premier universitaire à bénéficier du programme ELISIR est le Dr Gioele La Manno, qui vient d’obtenir son doctorat en Suède à l’institut Karolinska. La Manno y a travaillé dans le laboratoire de Sten Linnarsson, connu pour le développement de diverses technologies permettant de détecter l’ARN dans des cellules uniques avec une sensibilité et une précision extrêmes.

L’une de ces techniques appelée « vélocité de l’ARN » permet aux scientifiques d’observer l’expression des gènes dans le temps avec une résolution sans précédent. Contrairement au traditionnel séquençage de l’ARN sur cellules uniques qui se contente de prendre un « instantané » de l’expression des gènes dans une cellule, la technique de vélocité de l’ARN s’apparente à « une photo capturée sur un long temps de pose, ce qui donne un flou cinétique » ; celle-ci nous montre non seulement l’état de la cellule, mais comment la cellule change dans le temps.

La Manno a développé cette technique pendant son doctorat et l’a utilisée pour prédire l’état ultérieur de cellules souches individuelles du système nerveux. Son travail a révélé l’arborescence des lignées de l’hippocampe de la souris en cours de croissance et a même examiné la transcription de gènes dans le cerveau de l’embryon humain. Son travail a été récompensé par un article publié en aout 2018.

À l’EPFL, La Manno rejoindra l’Institut des Neurosciences (BMI), d’où il collaborera avec les membres des autres instituts de la Faculté des sciences de la vie pour conduire des recherches de pointe sur le développement et la dégénérescence des neurones.

Parlez-nous un peu de vos premières recherches.

Mon premier travail important portait sur la manière dont sont formés les neurones qui interviennent dans la maladie de Parkinson. Nous avons étudié ce processus chez la souris et chez l’homme ; nous avons comparé les deux espèces pour comprendre comment cette progression se produit et dans quelle mesure le modèle de la souris correspond au processus chez l'homme. 

Ces données nous ont permis de mettre au point un outil d’apprentissage machine qui attribue automatiquement un score reflétant le degré de similitude entre une cellule développée en laboratoire et une cellule cérébrale normale. Il s’agit là d’un aspect important pour les essais cliniques sur la maladie de Parkinson qui visent à remplacer les neurones perdus : il est bien naturel de vouloir connaître la qualité d’une préparation cellulaire avant de l’injecter dans le cerveau du patient.

Quels sont vos projets de recherche à l’EPFL ?

J'envisage d’étudier la rétine. Les recherches que j’ai faites sur le cerveau m'amènent logiquement à poursuivre mon travail avec la rétine, un organe qui peut complètement être considéré comme un prolongement du cerveau. Avec l'augmentation de l’espérance de vie humaine, le déficit visuel suite à un glaucome ou une dégénérescence maculaire, qui sont deux pathologies de longue durée impliquant la dégénérescence des cellules de la rétine, est de plus en plus fréquent. Ces pathologies sont très difficiles à étudier car il est impossible de prélever des échantillons de rétine. Mais quelque chose se passe dans la rétine qui fait que ces cellules perdent désormais la stabilité dont elles étaient alors dotées et dégénèrent.

Comment est-il possible d’étudier la rétine si le tissu humain est inaccessible ?

Le raisonnement ici est le suivant : en étudiant la rétine pendant le développement embryonnaire, il est possible de comprendre comment les états de stabilité cellulaire sont atteints. Il s’agit là d’une occasion d’observer le système alors même qu’il se construit et qu’il se stabilise. Les informations que nous obtiendrons nous aideront à trouver des moyens pour redonner une stabilité aux cellules mourantes. C’est comme observer une maison en cours de construction : en voyant l’ossature et les fondations, il est plus facile de repérer par la suite les points de rupture.

Pourquoi avoir choisi l’EPFL ?

Plusieurs raisons expliquent ce choix, mais la première est sans aucun doute le mélange unique entre la recherche de pointe dans le domaine de la physique, de l’ingénierie et des sciences de la vie. J’apprécie non seulement les possibilités offertes par cette conjugaison des forces, mais je m’efforce aussi chaque jour de rendre la biologie plus quantitative et prédictive, un peu à la manière des sciences physiques. Même s’il est difficile d’y parvenir avec les systèmes biologiques.

La seconde raison est le prestige. Le rôle joué par l’EPFL, et les membres de la faculté, la multitude de personnes qui travaillent ici – c’est fabuleux de pouvoir échanger avec tout ce monde-là.

La Suisse est sans aucun doute un grand pays pour la recherche ; elle déploie des efforts considérables pour faire avancer la science et encourage la communauté scientifique locale par des financements généreux.

En quoi le programme ELISIR est-il unique selon vous ?

Premièrement, il s’agit d'une initiative très novatrice en Europe. Ces postes immédiats de dirigeants de groupe faisaient défaut en quelque sorte. Et puis j’ai le sentiment d'appartenir à la communauté scientifique européenne et je pense que la manière de faire des sciences et de considérer les sciences en Europe est une valeur. À titre personnel, l’ELISIR est une belle opportunité si l’on considère que l’objectif d’une carrière universitaire pour un chercheur consiste, après tout, à rassembler une équipe et à essayer de développer ses idées. Ce qui est aussi mon objectif.

Références

La Manno et al. RNA velocity of single cells. Nature 560:494–498 (2018). https://doi.org/10.1038/s41586-018-0414-6