EPFL Valais Wallis : une journée de tests avec une victime d'un AVC

© 2018 Marie-Thé et Etienne Roux

© 2018 Marie-Thé et Etienne Roux

André Clausen a été victime d’un AVC en novembre dernier. Il a accepté d’être le premier patient d’un nouveau projet de recherche mené par un professeur de l’EPFL-Valais. «Le Nouvelliste» a passé une journée de tests en sa compagnie.


Voir l'article dans Le Nouvelliste.

Il a fallu plus d'une heure et demi pour installer les 64 électrodes sur la tête de André Clausen.

Il a fallu plus d'une heure et demi pour installer les 64 électrodes sur la tête de André Clausen. Sacha Bittel - Le Nouvelliste

«Depuis les années 2000, mon métier a beaucoup changé. C’est devenu toujours plus stressant et, au fond de moi, je savais que quelque chose allait m’arriver.» André Clausen a le regard fixe, vissé devant lui. Les lumières des lampadaires défilent sur son visage, alors que, assis sur le siège passager, il se laisse conduire jusqu’à l’Hôpital de Sion. Depuis son AVC, il refuse de prendre le volant. Comme «Le Nouvelliste» lui a proposé de passer cette journée en sa compagnie, pragmatique, il nous a demandé de l’y amener. Aujourd’hui commence sa 2e journée de tests.

L’homme de 64 ans s’est porté volontaire pour participer à un projet de recherche mené par le professeur Friedhelm Hummel de l’EPFL-Valais, pionnier de la neurostimulation cérébrale post AVC. «Les traitements proposés actuellement après un AVC sont trop généraux. Nous désirons proposer des réponses plus adaptées à nos patients. Comme les AVC sont très différents les uns des autres, il nous faut bien comprendre le fonctionnement du cerveau pour développer une médecine réellement personnalisée», indique Friedhelm Hummel. «Le Nouvelliste» a passé la journée avec le tout premier patient de ce projet, un homme calme, volontaire et fier de donner de son temps pour une étude à laquelle il avoue ne pas tout comprendre. «Ils étudient mon cerveau», répète-t-il simplement, comme pour donner corps à cette assertion saugrenue. «Je ne le fais pas pour moi, mais pour aider l’EPFL.»

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Dans la gueule d’un IRM

André Clausen a conduit des trains toute sa vie. Ce métier, il l’aimait, mais les conditions se sont dégradées avec l’automatisation des processus. «Nous étions toujours plus surveillés, toutes nos manipulations étaient étudiées. Avec nos horaires très irréguliers, il faut se lever tous les jours à des heures différentes, mon corps n’a pas supporté», avoue-t-il calmement, tandis que la voiture entre dans le parking de l’hôpital. Partout autour, les prairies givrées étincellent des premiers rayons de la journée.

Après avoir passé une heure dans l’IRM de l’Hôpital du Valais, André Clausen en ressort souriant, prêt à affronter la suite de cette journée de tests.

Quelques minutes plus tard, Friedhelm Hummel et deux assistantes de recherche nous accueillent avec la gratitude de ceux qui ne pourraient progresser sans l’abnégation de leurs patients. D’un signe de la main, le professeur nous indique la direction de l’IRM, le plus puissant actuellement sur le marché. Tandis que André Clausen s’installe docilement devant l’énorme gueule opaline, Julia Bruegger, doctorante en neuroscience, explique que «durant cette première partie, nous étudions comment le cerveau se comporte au repos, puis face à des stimuli vidéo» en observant le patient disparaître dans l’appareil. Une heure plus tard, André Clausen réapparaît enfin. «C’était un peu long. Heureusement qu’il y avait ce documentaire sur les ours.»

«Les gens atteints d’un AVC doivent parfois réapprendre des mouvements simples. Or, tous ces mouvements commencent dans le cerveau»
Valérie Zufferey, neuropsychologue

Le cerveau commande les gestes

D’un regard empreint d’une bienveillance sereine, il invite en silence la jeune neuropsychologue Valérie Zufferey à nous rejoindre. «Etes-vous prêt pour quelques tests cognitifs et moteurs» demande-t-elle avec déférence. Durant une heure, elle lui proposera toute une série d’exercices, apparemment simple. «Il faut dessiner des lignes, mémoriser et détecter des objets, nous procédons ensuite à des tests d’attention...» explique-t-elle devant André Clausen. Ces exercices ont pour objectif de comprendre la récupération motrice, car «les gens atteints d’un AVC doivent parfois réapprendre des mouvements simples. Or, beaucoup de ces mouvements commencent dans le cerveau.»

Valérie Zufferey demande à André Clausen de serrer la pince aussi fort que possible. A travers plusieurs séances dans l’année, elle étudiera les différences de force chez les patients atteints d’un AVC.

Des impulsions dans la tête

En début d’après-midi, Friedhelm Hummel nous emmène dans une petite pièce nichée dans une plus grande, comme deux poupées russes. «C’est une cage de Faraday. Elle permet de nous isoler du bruit électromagnétique ambiant et de réaliser des enregistrements des signaux électriques du cerveau (EEG) et des stimulations magnétiques transcrâniennes», indique-t-il, pendant que André Clausen se fait prendre en charge par plusieurs assistants. Après lui avoir posé un bonnet câblé sur la tête, ils nettoient la peau du patient à l’aide d’une pâte abrasive aux endroits où les électrodes seront posées.

«En envoyant de petites impulsions électriques dans cette zone du cerveau, l’index va sursauter.»
Friedhelm Hummel, professeur EPFL en neurosciences

Quelques dizaines de minutes plus tard, les tests commencent. «Nous avons identifié la zone du cerveau qui permettait de bouger l’index de la main gauche. En envoyant de petites impulsions magnétiques, une activité électrique dans cette zone du cerveau va être créée et l’index va sursauter. Ces exercices seront répétés plusieurs fois par an, afin de pouvoir analyser les résultats en fonction de la taille de la lésion, de son emplacement et de la réorganisation du cerveau», commente le professeur. En clair, les chercheurs vont analyser comment le doigt réagit à l’impulsion magnétique et créer des liens avec les images du cerveau prises durant la matinée. Ces tests seront réalisés plusieurs fois par année chez une centaine de patients atteints d’un AVC. Comme André Clausen, certains sont en bonne santé. D’autres souffrent de séquelles plus sévères. «J’espère juste que vous n’allez pas me détraquer le cerveau», rigole le patient. Spécialiste de ce type de machines, Takuya Morishita répond aussitôt qu’il y a «beaucoup plus de risque que cette machine vous fasse du mal en tombant dessus après avoir glissé».

Après six sessions de quatre minutes, l’exercice est déjà terminé, mais les données récoltées étant aussi volumineuses que précieuses, il faudra un superordinateur de l’EPFL pour analyser les résultats d’André Clausen, ainsi que ceux des 99 autres patients intégrés au projet. L’EPFL, l’Hôpital du Valais, la Clinique bernoise et la Clinique romande de réadaptation SuvaCare travailleront conjointement durant trois ans. Si les résultats sont probants, les chercheurs pourront se rapprocher un peu plus de ce qu’ils considèrent comme l’objectif principal de leur recherche: un traitement post AVC plus efficace, car personnalisé pour chaque patient.