EPFL et Harvard: vers un diagnostic de la surdité

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Les chercheurs de l'EPFL et de la Harvard Medical School ont développé une méthode d'imagerie permettant d'observer in situ les cellules de l'oreille interne, jusqu'ici inaccessibles. Une prouesse qui devrait permettre de comprendre enfin les mécanismes de la surdité.

Quelle est la véritable cause de la surdité chez l'être humain? Et comment soigner au mieux ce trouble de l'audition ? Autant de questions face auxquelles les médecins sont souvent impuissants, les méthodes actuelles ne permettant pas d’observer les cellules de l'oreille interne sans les détruire. Forts de ce constat, des chercheurs de l'EPFL et de la Harvard Medical School ont travaillé conjointement au développement d'une technique de laser non-invasive permettant d'obtenir des images très haute définition des cellules situées à l'intérieur de la cochlée, un organe fragile et étriqué de l’oreille interne. Effectués sur des souris, les premiers résultats sont très concluants. Ils ont été présentés à l'EPFL récemment à l'occasion du Symposium Bertarelli, et apparaîtront également dans la version online du Journal of Biomedical Optics prochainement, ainsi que dans sa version imprimée.

Observer sans détruire
La nouvelle méthode d'optique des chercheurs a cela de révolutionnaire qu'elle permet d'obtenir des images extrêmement nettes des tissus de l'oreille interne, sans qu'aucun marqueur fluorescent nocif (antibiotiques, protéines, etc.) ne doive être ajouté pour «colorer» les cellules à analyser.
Les méthodes de microscopie traditionnelles ne peuvent fonctionner sans ces marqueurs (fluorochrome), et sont de ce fait impossibles à utiliser en clinique. «Ils provoquent des dommages irréversibles sur les tissus. Cela biaise l'analyse», précise Xin Yang, co-auteure de la publication et assistante doctorante au laboratoire d'optique (LO), dirigé par Demetri Psaltis. Quant à l'imagerie par résonance magnétique ou IRM, déjà utilisée dans les hôpitaux, sa résolution est insuffisante pour observer les tissus cellulaires en profondeur. «Elle ne peut pas descendre au-dessous des 40 microns (millième de millimètre), alors que les cellules que nous observons sont de l'ordre de deux microns.»

Des cellules autofluorescentes
Certaines cellules ont la propension naturelle à renvoyer de la lumière lorsqu'elles sont soumises à une excitation lumineuse. C'est cette qualité, qui permet de se passer de marqueurs fluorescents externes, qui a été utilisée par les chercheurs. Le principe est simple : en envoyant un laser sur une cible précise, les photons sont absorbés par les molécules, et les électrons suffisamment excités pour émettent à leur tour un photon. La lumière renvoyée par les électrons permet ensuite de reconstituer une image de bonne qualité.

«Pour une meilleure pénétration des tissus et une meilleure résolution de l'image en trois dimensions, nous avons utilisé une méthode appelée microscopie à deux photons. Cette technique consiste à diriger un laser à impulsion ultra-courtes dit «laser femtoseconde» sur les cellules. Grâce à la grande longueur d'onde de ce genre de laser, la lumière est moins diffuse et peut pénétrer profondément dans les tissus. Une molécule peut ainsi absorber simultanément deux photons, et n'en émettre qu'un seul, avec la même longueur d'onde que s'il avait été émis via un procédé à un seul photon. Cela permet d'obtenir des images de très haute définition.»

Une nouvelle méthode d'endoscopie
Pour mener leur expérience et tester leur méthode, les chercheurs ont utilisé deux populations de souris. Un premier groupe a été exposé à des sons provoquant des dégâts permanents dans l'oreille interne. Et le second a été laissé dans un environnement normal. Sacrifiant les deux groupes de souris, les chercheurs ont ensuite extrait la cochlée de chaque animal, et ont appliqué leur méthode de laser, afin de comparer l'état des tissus pour chacun des groupes. «Chez les sujets ayant été exposés à des sons spécifiques, nous avons observé des irrégularités dans l'alignement des cellules, et même des cellules manquantes», relate Xin Yang. Quant aux cellules des sujets sains, elles sont restées extrêmement régulières.

La prochaine étape consiste à présent à adapter cette méthode, afin qu'elle soit utilisable sur des sujets vivants. Les scientifiques travaillent donc sur une technique d'endoscopie, permettant de guider le laser dans l'oreille interne, sans avoir à en extraire la cochlée. «Nous prévoyons pour ce faire d'utiliser des fibres optiques d'une cinquantaine de microns.»

Une collaboration à 3,6 millions de francs
Les résultats décrits dans la publication à paraître dans le Journal of Biomedical Optics signent la première concrétisation de la collaboration Harvard Medical School-EPFL, initiée en avril 2011. Ce projet commun, financé par la Fondation Bertarelli à hauteur de 3, 6 millions de francs, vise à améliorer la qualité de vie des personnes souffrant de troubles neurologiques, à travers un rapprochement des neurosciences et de l'ingénierie. Il regroupe six projets d'avant-garde, qui concernent le diagnostic des problèmes auditifs, mais aussi la stimulation de la moelle épinière en cas de paraplégie. Chaque année, un Sympopsium Bertarelli est organisé à Harvard et à l'EPFL de manière alternative, pour faire le point sur ces recherches. Le dernier Symposium s'est déroulé les 11 et 12 octobres à l'EPFL.

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Titre de la Publication: Two photon microscopy of the mouse cochlea in situ for cellular diagnosis
Scientifiques impliqués:
EPFL : Demetri Psaltis, directeur du laboratoire d'optique (LO)
Harvard/ Mass. Eye & Ear Infirmary: Konstantina Stankovic

Plus d'informations: Bertarelli Program in Translational Neuroscience and Neuroengineering


Auteur: Laure-Anne Pessina

Source: EPFL