Du plomb dans l'aile des cellules souches reprogrammées

Cellules souches embryonnaires. Image: PLoS Biology / Nissim Benvenisty sous licence Creative Commons

Cellules souches embryonnaires. Image: PLoS Biology / Nissim Benvenisty sous licence Creative Commons

Les thérapies s’appuyant sur les cellules souches ont-elle un avenir sans cellules embryonnaires? Une recherche internationale impliquant l’EPFL vient de montrer que la «reprogrammation» de cellules adultes débouche sur des aberrations génétiques.

C’est une fausse note dans le concert de bonnes nouvelles qui accompagne généralement la recherche sur les cellules souches. Celles-ci sont extraordinairement prometteuses en médecine régénérative grâce à leur capacité à reconstituer des organes malades ou endommagés. Régénération de muscles pour soigner une dystrophie, greffe de peau de culture pour les grands brûlés ou traitement de la leucémie sont quelques exemples de soins dont l’efficacité peut être fortement améliorée grâce aux cellules souches.

Le problème, c’est de les obtenir. Celles qui sont à la source même de la vie, dans les premiers jours du développement d’un embryon, seraient bien sûr les plus intéressantes: encore indifférenciées, elles sont «pluripotentes», pouvant évoluer en foie, en muscle, en œil… Mais la question de leur prélèvement soulève évidemment des problèmes éthiques insurmontables.

«A cet égard, la découverte récente du phénomène de «re-programmation», par lequel des cellules somatiques peuvent être induites par la seule expression forcées de quelques gènes à réacquérir un caractère de pluripotentialité, ouvre des perspectives phénoménales à la médecine régénérative, estime Didier Trono, doyen de la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL. On peut imaginer par exemple récolter quelques cellules à la base d’un follicule pileux d’un patient hémophile, leur redonner la pluripotentialité de leur précurseur embryonnaire, en corriger la mutation responsable du trouble de la coagulation à l’origine des maux de ce patient, et les lui ré-administrer, génétiquement «guéries», après en avoir orchestré la différenciation en une progéniture pleinement fonctionnelle.»

Un risque accru de cancers?

Mais une étude qui vient d’être éditée dans Cell Death and Differentiation et qui sera suivie par deux publications dans Nature douche un peu les espoirs. Conduite par le Département de biochimie de l’Université de Genève et l’Institut européen d’oncologie à Milan, avec la participation du laboratoire de Didier Trono, elle arrive à la conclusion que ces cellules reprogrammées souffrent d’une «instabilité génomique» qui semble précisément due au processus employé pour ramener ces cellules au stade «souche». Plus grave encore, les mutations génétiques observées s’apparentent à celles que l’on trouve dans des cellules cancéreuses. Les chercheurs en tirent la conclusion que les cellules souches reprogrammées devront faire l’objet de nouvelles investigations poussées avant que l’on puisse envisager de s’en servir en médecine régénérative.

Leurs expériences ont été menées sur des cellules mammaires et des fibroblastes de souris. Les scientifiques ont procédé de trois manières différentes pour reprogrammer ces cellules afin qu’elles retrouvent leur statut de «souche». Une première méthode a été mise au point spécialement pour cette recherche, les autres étant déjà bien documentées.

Or toutes arrivent à cette même et implacable conclusion: les aberrations génétiques se multiplient, d’une façon qui semble montrer qu’elles sont inhérentes à la reprogrammation elle-même. «Les techniques les plus efficaces pour recréer des cellules souches se basent sur des gènes oncogènes; or il a été prouvé que ceux-ci peuvent induire des instabilités génétiques», expliquent les auteurs de la recherche.

Ces résultats demandent que de nouvelles études soient menées. D’une part pour savoir si ces anomalies génétiques sont suffisamment importantes pour compromettre la fonction et la stabilité des cellules qui découleront de ces souches. D’autre part pour «affiner les méthodes utilisées pour générer des cellules pluripotentes induites afin d’éviter ce problème. Ces résultats vont donc stimuler l’imagination des chercheurs», conclut Didier Trono.


Auteur: Emmanuel Barraud

Source: EPFL