Discussion sur la crise polaire et de l'action mondiale

Un jalon politique pour la cryosphère

Le sommet, organisé à l'initiative du président Français Emmanuel Macron, a réuni environ 40 pays pour évaluer les stratégies de préservation de l'Arctique et de l'Antarctique. Chappellaz a expliqué qu'il s'agissait du premier sommet de la série « One Planet Summit » – après le sommet sur les océans de 2022 – à aborder spécifiquement la cryosphère.

Tout l'enjeu était de faire en sorte que les experts sur le sujet, incluant les scientifiques, les explorateurs et les communicants, puissent établir un état des lieux et apporter un message aux décideurs. La cryosphère est souvent négligée dans le monde économique et politique parce qu'elle n'a pas de valeur économique, pourtant elle est très importante pour nos sociétés.

La cryosphère comme stabilisateur climatique

Au cours de l'interview, les deux glaciologues ont expliqué comment la cryosphère – qui comprend la neige, les glaciers, la glace de mer, les calottes glaciaires et le pergélisol – agit comme un stabilisateur climatique. Sévestre a décrit la banquise arctique comme fonctionnant « un peu comme un T-shirt blanc pendant l'été, un peu comme un miroir » qui renvoie le rayonnement solaire vers l'espace.

Malheureusement, nous sommes en train de perdre cette banquise. Nous avons perdu la surface d'un pays comme l'Inde en 40 ans sur la banquise arctique. À la place, nous avons un océan qui est beaucoup plus sombre, qui est très efficace pour absorber le rayonnement solaire, perturbant grandement le climat de l'hémisphère Nord.

Des changements irréversibles déjà en cours

Une recherche récente publiée dans Nature Climate Change montre que la fonte de la glace de l'Antarctique occidental est désormais inévitable dans tous les scénarios de réchauffement. Sévestre a expliqué que les barrières de glace flottantes – « un peu comme le bouchon d'une bouteille de champagne » – sont « grignotées » par le réchauffement de l'eau océanique en dessous et l'augmentation des températures de l'air au-dessus.

Si ce bouchon disparaît, toute la glace qui était coincée derrière risque de fondre encore plus vite dans l'océan Austral.

Sévestre averti, notant que cela affecte directement des villes françaises comme La Rochelle, Arles, Le Havre et Bordeaux – et pas seulement des endroits lointains comme le Bangladesh.

Jérôme Chappellaz a souligné comment ces changements affectent l'écosystème, exhortant les animaux à s'adapter à ces changements.

Cela nous affecte en tant qu'humains aussi, et nous sommes dans une situation où nous devons nous adapter aux conséquences de l'augmentation des gaz à effet de serre qui réchauffent la planète

Principales décisions du sommet

Chappellaz a mis en avant plusieurs décisions majeures du sommet :

Donner la parole aux nations vulnérables : Des pays comme le Népal et le Pérou, fortement affectés par la perte des glaciers de montagne mais manquant souvent de visibilité, ont reçu une tribune.

Nous avons 2 milliards d'individus aujourd'hui qui dépendent pour leur eau – utilisée pour l'agriculture et l'irrigation – de l'eau des glaciers

Décennie des Nations Unies sur les pôles et les glaciers : Le sommet a lancé une initiative d'une décennie débutant en 2025, désignée par l'UNESCO comme l'Année internationale de la préservation des glaciers à l'initiative du Tadjikistan.

Engagements de recherche : Les pays signataires se sont engagés à soutenir de nouveaux efforts de recherche, particulièrement sur des zones mal comprises comme les plateformes de glace antarctiques.

Nous les connaissons moins bien que la surface de la Lune

Engagement financier français : Le président Macron a promis 1 milliard d'euros sur 10 ans pour soutenir la recherche polaire, incluant la rénovation des stations de recherche en Antarctique et dans l'Arctique.

Protection des glaciers français : La France s'est engagée à accorder un statut de protection renforcé à 100% des glaciers français et aux nouveaux écosystèmes exposés par le retrait des glaciers dans les Alpes.

L'urgence d'agir

Interrogé sur la confiance à maintenir alors que les projections de l'ONU montrent seulement une réduction de 2% des émissions d'ici 2030 (au lieu des 40% nécessaires), Chappellaz a souligné qu'abandonner n'est pas une option.

Aujourd'hui, on n'a pas le temps de discuter, on n'a pas le temps de négocier, on n'a pas le temps de débattre. Il faut vraiment passer à l'action. La COP21 nous a donné la trajectoire. On s'en éloigne – ce n'est pas pour autant qu'il faut abandonner.

Science et engagement

Abordant le rôle croissant des scientifiques dans les actions de désobéissance civile, Chappellaz a reconnu la tension entre maintenir la neutralité scientifique et agir en tant que citoyens. Bien qu'il ne se soit pas personnellement engagé dans la désobéissance civile, il respecte ceux qui l'ont fait.

La parole scientifique doit rester aussi neutre et factuelle que possible parce que nous sommes là pour établir des faits et apporter ces faits aux décideurs et aux citoyens

Cependant, il a souligné l'importance d'atteindre « le cœur de la machine » – l'économie de marché et les institutions financières – évoquant une conférence qu'il a donnée aux traders de BNP Paribas comme l'une de ses plus percutantes.

Un appel au bien commun

Chappellaz a conclu par un appel à l'humanité pour qu'elle se concentre sur le bien commun :

La cryosphère, les glaciers, sont des objets qui généralement n'ont pas de propriétaire, qu'on prend pour acquis. Aujourd'hui, chacun d'entre nous à notre niveau doit œuvrer du mieux qu'on peut pour préserver ce bien commun de l'humanité.

L'interview complète est disponible sur le site web de Radio Anthropocène et sur toutes les plateformes de podcast.