Des yeux d'insectes pour les drones

Creative Commons Aymen FANTAR أيمن فنطر

Creative Commons Aymen FANTAR أيمن فنطر

S’inspirant des yeux à facettes multiples des mouches drosophiles, une équipe de chercheurs de l’EPFL a mis au point un œil artificiel qui permet à des robots de détecter et d’éviter des obstacles. Des vêtements connectés aux drones, les applications sont nombreuses.

Est-il possible de surprendre une mouche? Les petits insectes, comme dotés d’un sixième sens, possèdent une remarquable capacité d’esquive. Et pourtant, point de magie, mais uniquement un œil composé de milliers d’ommatidies. Ces récepteurs visuels permettent aux insectes de percevoir très précisément leur environnement, notamment la direction et la vitesse des mouvements. S’inspirant de ce modèle naturel, une équipe de l’EPFL dirigée par Dario Floreano, a mis au point un œil composé artificiel, décrit dans une récente publication d’Interface, une revue de la Royal Society.

Les yeux composés des mouches possèdent de nombreuses propriétés intéressantes. Chaque ommatidie est légèrement décalée par rapport à ses voisines, permettant au cerveau de collecter et de comparer les informations produites par l’ensemble des capteurs visuels. Les insectes peuvent ainsi percevoir précisément leur environnement et détecter les mouvements, même dans des endroits sombres. Le tout sans dépenser beaucoup d’énergie.



Un œil au poids plume
Ces nombreux avantages ont conduit plusieurs équipes de chercheurs à développer un œil composé artificiel. Concrètement, le capteur se compose de trois détecteurs à photons hexagonaux couverts d’une unique lentille. L’ensemble est capable d’opérer la mise au point et de s’adapter à la lumière ambiante. Ces trois détecteurs, légèrement décalés, envoient ensuite les informations au microprocesseur. Sur la base de ce flux, ce dernier va établir une carte sommaire de l’environnement immédiat. «Il ne faut pas s’imaginer qu’il s’agit d’une image haute qualité, nuance le coordinateur du projet Ramón Pericet Cámara, il s’agit de trois pixels uniquement.» Un chiffre qui peut paraître ridicule, mais qui suffit à l’œil artificiel pour détecter les objets environnants et leur vecteur de mouvement. Mieux encore : le dispositif perçoit également le mouvement relatif, soit les objets immobiles.

D’une dimension dérisoire -1925*475*860 μm (1 μm= 0.001 millimètre) pour un poids de 2 mg -, l’œil électronique est capable d’enregistrer 300 images par secondes, soit trois fois plus qu’un œil de mouche. Par ailleurs, il ne fait pas que capturer les flux optiques : il les traite et les transforme d’analogique en digital.

Prévenir les collisions et aider les aveugles
Un tel œil possède des attributs idéaux pour un équiper un robot volant. «L’un des buts du projet était de développer un capteur pour de très petits drones, précise Ramón Pericet Cámara. Ces engins robotiques, pour être relativement autonomes, doivent être capables de détecter et d’éviter ce qui les entoure. Le défi le plus important a été de miniaturiser touts les composants», confie-t-il. A l’instar de sa contrepartie animale, l’œil électronique est très peu gourmand en énergie. Il peut en outre être fixé sur toutes sortes de structures, qu’elles soient rigides, molles, planes ou encore courbées.

Tous ces avantages ouvrent la voie à des applications multiples. Au-delà de son intégration dans des drones chargés de missions de sauvetage ou de surveillance, l’œil artificiel pourrait être utilisé dans plusieurs autres secteurs. Les équipes de l’EPFL sont d’ailleurs en train de développer une casquette connectée destinées aux personnes aveugles: les capteurs visuels détectent les obstacles et guident le porteur grâce à un système de vibrations. Il est également possible d’imaginer des applications automobiles, que ce soit pour optimiser le fonctionnement des voitures sans pilote ou prévenir des collisions.

Une collaboration nécessaire et réussie
Ramón Pericet Cámara relève que la réussite de ce projet a été conditionnée par la participation de plusieurs universités partenaires. «Pour en arriver à un tel résultat, nous avons dû réunir les meilleurs experts européens disponibles. Un tel projet est irréalisable dans une seule institution.»

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L’œil composé artificiel a été mis au point dans le cadre du projet CURVACE (Curved Artificial Compound Eye), financé par la Commission Européenne dans le cadre du Framework-Program 7 (FP-7). Outre l’EPFL, qui a coordonné le projet à travers le NCCR Robotics, trois autres universités sont impliquées:

  • L’université de la Méditerranée (Marseille-Aix en Provence, France) a notamment mis au point les parties électroniques du capteur.
  • L’université de Tübingen (All) a développé les algorithmes nécessaires au traitement de l’image.
  • Le Fraunhofer Institute for Applied Optics and Precision Engineering (All) a assemblé le capteur et optimisé les composantes optiques.


Pour plus d’information sur le projet : http://curvace.org

Publication

An artificial elementary eye with optic flow detection and compositional properties

Ramon Pericet-Camara, Michal K. Dobrzynski, Raphaël Juston, Stéphane Viollet, Robert Leitel, Hanspeter A. Mallot, Dario Floreano
Published 22 July 2015.DOI: 10.1098/rsif.2015.0414


Auteur: Alexandre Babin

Source: EPFL