Des puces défaillantes pour des smartphones économiques

Les puces électroniques défectueuses pourraient être intégrées dans des téléphones portables ou ordinateurs meilleur marché et peu gourmands en énergie.

Nos téléphones portables et ordinateurs sont-ils trop sophistiqués pour l’usage que l’on en fait au quotidien? Andreas Burg, directeur du Laboratoire de circuits pour télécommunications (TCL), s’est posé très concrètement la question. Partant du fait que les téléphones et ordinateurs portables tolèrent déjà un certain nombre de « ratés » lors de la transmission de signal, il a suggéré qu’il était possible d’utiliser des puces défaillantes dans les dispositifs portables, en lieu et place des circuits actuels efficaces à 100%. Pari gagné.

Lors de la Design Automation Conference (DAC), qui s’est tenue début juin à San Francisco, le chercheur a démontré que l’intégration de puces comportant des défauts dans des dispositifs portables n’altérait pas de manière drastique le débit des données ou les performances générales. Mieux encore: cela permettait aux appareils de fonctionner plus longtemps, avec une même charge de batterie. Une découverte qui pourrait avoir un impact sur le monde de l'industrie:"Actuellement, les industriels ne peuvent pas produire de puces peu gourmandes en énergie et capables de fonctionner sur un mode de basse tension. La plupart de ces puces, une fois sorties de la production, comportent en effet trop de disfonctionnements. Avec notre technique, il serait possible de récupérer et d'intégrer les puces disfonctionnelles dans les dispositifs portables, évitant ainsi qu'elles ne finissent à la poubelle", explique le chercheur.

Afin de tester sa théorie, le chercheur, aidé d'une équipe de l'EPFZ, a utilisé un système de simulation permettant d'évaluer l'impact que pourraient avoir des puces déféctueuses dans la mémoire d'un smartphone. Les résultats ont montré que le système était capable de tolérer un grand nombre des erreurs présentes dans le circuit. “Notre technique permet en effet d’effectuer sur les puces défectueuses une réduction de tension significative, allant bien au-delà de ce que les puces traditionnelles pourraient supporter", souligne le scientifique.

Des circuits électroniques tolérant les fautes
C’est en réunissant deux domaines de recherche habituellement très indépendants : le traitement de signal et la conception de circuits, qu’Andreas Burg et son équipe sont parvenus à développer leur concept. « Dans le monde des télécommunications sans fil, explique le scientifique, les téléphones et ordinateurs portables s'adaptent déjà à certaines distortions du signal lors de la transmission. Lors de l’ouverture d'une page web via un smartphone, par exemple, les récepteurs ne parviennent habituellement pas à traiter le 100% des données qu'ils reçoivent, en raison du bruit et des interférences. Seul le 90% est géré correctement en une seule fois, et stocké dans la mémoire du dispositif. Pour récupérer le reste, une demande de répétition est envoyée automatiquement et rapidement à l'émetteur, afin qu'il procède à un nouvel envoi. Les nouvelles données sont ensuite mises en rapport avec les données déjà stockées, pour constituer au final un transfert idéal de toutes les données.»

Partant du constat que le système continue de fonctionner, même avec ces distortions, le chercheur a envisagé d’exploiter cette faculté de « tolérance » pour permettre la présence d’erreurs qui apparaissent dans les circuits, lorsqu'un dispositif fonctionne en mode réduit de consommation d'énergie. « Actuellement, lorsqu'un téléphone portable n'a plus de batterie, il s’éteint pour éviter les erreurs. En utilisant des circuits qui ne sont pas efficaces à 100%, le téléphone peut continuer à fonctionner sur un mode de consommation réduite. Cela prendrait dès lors plus de temps pour recevoir un email, par exemple, mais l'ensemble des services pourrait être maintenu. »

Vers les téléphones hybrides
Le fait de renoncer à développer des téléphones composés de circuits efficaces à 100% ouvre la porte à la fabrication de téléphones « hybrides » meilleur marché et moins gourmands en énergie, pouvant passer d'un mode de fonctionnement à un autre, selon les besoins. « On pourrait même imaginer des appareils moins chers composés uniquement de puces défaillantes, pour autant que l'on accepte que les performances générales soient légèrement réduites», ajoute le scientifique.

A noter que l'idée d'exploiter la tolérance aux erreurs est également à l'étude dans d'autres laboratoires de l'EPFL et dans le monde. Le groupe de Christian Enz, collaborateur du Centre Suisse d'Electronique et de Microtechnique (CSEM) et également professeur à l'EPFL, travaille sur le sujet en collaboration avec l’Université Rice (Houston, TX) et l’Université Nanyang Technology University (Singapour). David Atienza, du Laboratoire des systèmes embarqués (ESL) étudie également cette thématique. Les groupes de ces trois chercheurs entendent d’ailleurs collaborer sur le sujet dans un futur proche.

Plus d'informations dans la publication: On the exploitation of the inherent error resilience of wireless systems under unreliable silicon


Auteur: Laure-Anne Pessina

Source: EPFL