Des mouvements browniens dans la population des villes

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La manière dont les agglomérations sont susceptibles de se développer obéit à des lois fondamentales mises en évidence par des chercheurs de l’EPFL.

Les schémas de migration vers et hors des villes dépendent de millions de décisions individuelles, qui sont à leur tour tributaires de milliers de facteurs comme l’économie, l’emplacement, la politique, la sécurité, l’esthétique ou les sentiments. Les planificateurs urbains ont de plus en plus de difficultés à anticiper le taux de croissance d’une ville donnée afin de mieux aborder les défis futurs qu’implique une urbanisation croissante. Le Journal of the Royal Society Interface rapporte cependant que des scientifiques de l’EPFL ont découvert une loi cruciale pour la prédiction des expansions urbaines.

Les villes sont souvent considérées comme des organismes vivants fourmillants de vie et d’activité. Cette métaphore s’inspire de faits réels, puisque la migration vers et hors des agglomérations est une force dynamique constante. Pourtant, le boom planétaire des cités va nécessiter d’en connaître les schémas. En effet, des prévisions quant à la taille future des villes permettraient de prendre de meilleures décisions en matière d’administration, de design, logistique et finance. Or, cela ne va pas de soi, car la migration humaine à travers le temps et l’espace est motivée par un large spectre de décisions individuelles, qui engendrent une masse de données incroyablement difficile à analyser.

Comme la poussière dans l'air
Or, une équipe de chercheurs de l’EPFL dirigée par Alberto Hernando a mis au jour les probables lois universelles sous-jacentes à l’apparente complexité aléatoire d’une agglomération mouvante. Pour ce faire, les scientifiques ont analysé des masses de données provenant de l’Institut national de la statistique espagnol (INE), qui couvraient une période de 111 ans (1900 – 2011) et comprenaient 45 millions d’individus dans 8’100 municipalités du pays. Les chercheurs ont alors décidé de considérer les flux de population en termes de mouvement brownien, soit comme des déplacements aléatoires de particules dans un milieu, telle la poussière dans l’air. La grande quantité de données à disposition a rendu possible cette technique innovante et permis de décrypter les lois de la croissance urbaine.

Premièrement, la manière dont une ville se développe au fil du temps dépend fortement de la façon dont elle a grandi par le passé. Même si cela semble intuitivement évident, ce n’est pas toujours le cas, car l’expansion urbaine dépend d’une multitude de facteurs. Grâce à son modèle, l’équipe de l’EPFL a montré qu’il était possible de prédire le taux de croissance d’une ville grâce à d’anciennes données, pour autant que ladite agglomération dépasse les 10’000 habitants. Les scientifiques ont également découvert que cette corrélation forte entre passé et futur durait environ quinze ans, pendant lesquels elle reste constante. Un tel constat signifie qu’il faut au moins analyser des données sur ce laps de temps si l’on souhaite effectuer des estimations précises de la croissance urbaine.

Deuxièmement, le développement d’une ville dépend fortement de celui des cités alentours, surtout dans un rayon de 80 km. Puis, plus la distance augmente, plus l’influence environnementale diminue. Résultat, prédire l’accroissement de villes comme Las Vegas ou Perth en Australie peut se révéler difficile malgré leur taille en raison de leur relatif isolement. Ce lien entre développement urbain et voisinage prouve que la géographie joue un rôle important dans les estimatifs liés à une cité donnée.

Prédire les évolutions
Fort du succès du modèle, Alberto Hernando espère pouvoir l’appliquer aux facteurs qui influencent les mouvements humains. Selon lui, «les individus bougent pour des raisons naturelles (catastrophes, bouleversements climatiques) ou non naturelles (politique sociale ou économique instable, conflits). Si nous parvenons à les isoler et à les introduire dans un modèle, nous pourrons simuler et prédire l’impact de décisions politiques ou financières dans une région donnée». Un tel système servirait en outre à prévoir la croissance des compagnies commerciales, et ce en observant leurs fluctuations de valeur sur des périodes temporelles très précises. «Notre objectif à long terme consiste à développer un outil de simulation incluant toutes les forces en présence, qu’elles soient démographiques, sociales ou économiques, dans lequel des copies virtuelles de cités bien réelles grandiront et réagiront à des situations hypothétiques en mimant la réponse de leur double.»