Des matériaux intelligents grâce à l'ADN

© 2013 EPFL

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Des colloïdes recouverts d’ADN ont été utilisés pour créer de nouveaux matériaux autoassemblés lors d’une expérience phare menée par des scientifiques de l’EPFL et de l’Université de Cambridge.

Les colloïdes sont des substances qui se répartissent régulièrement à l’intérieur d’une autre. Le lait, le polystyrène, les sprays capillaires, la peinture, la mousse à raser, les gels, la poussière, la boue et le brouillard en sont des exemples concrets tirés de la vie de tous les jours. Une de leurs propriétés les plus intéressantes réside dans leur capacité d’autoassemblage, soit de s’agglomérer spontanément sous la forme de structures bien établies, uniquement entraînés par l’interaction locale entre les particules du colloïde concerné. Cette caractéristique intéresse beaucoup l’industrie, car sa maîtrise ouvrirait la voie à force technologies nouvelles, comme des patchs médicamenteux intelligents ou des peintures novatrices qui varient en fonction de la lumière. Or, une récente publication de Nature Communications montre que des chercheurs de l’EPFL et de l’Université de Cambridge ont découvert une technique permettant de contrôler et diriger l’autoassemblage de deux colloïdes différents.

Contrairement à celles composées de molécules discrètes, les solutions colloïdales sont constituées de larges particules dispersées dans un solvant liquide. Cette structure inhabituelle confère aux colloïdes des propriétés uniques: le mouvement brownien (le zigzag aléatoire d’une molécule lorsqu’elle se heurte à celles du fluide environnant), l’électrophorèse (c.-à-d. le déplacement unidirectionnel de particules soumises à un courant électrique) et des caractéristiques optiques comme l’effet Tyndall (la lumière entrant dans le colloïde se disperse et présente une teinte différente). En raison de ces propriétés, les colloïdes sont très répandus dans notre vie quotidienne. Mais une de leurs qualités intrinsèques l’emporte sur les autres: leur capacité d’autoassemblage.

En effet, les particules colloïdales sont capables de former spontanément une sorte d’arrangement structurel stable lié à leur forme et direction lorsqu’elles interagissent avec le milieu de dispersion. Même s’il ne nécessite aucune force externe, l’autoassemblage reste généralement une réponse aux modifications d’un facteur environnemental comme la température, la lumière, etc. En matière de colloïdes biologiques (ADN, protéines, macromolécules), il s’agit souvent d’une première étape vers l’auto-organisation, qui sous-tend de nombreuses structures cellulaires. Les colloïdes autoassemblés pourraient donner lieu à une foule d’applications technologiques et alimenter la recherche y relative.

Qu’en est-il de l’autoassemblage de deux types distincts de colloïdes, ou même davantage? C’est la question que s’est posée le groupe Giuseppe Foffi de l’EPFL, en collaboration avec l’équipe Erika Eiser de l’Université de Cambridge. Ces scientifiques ont démontré que des interactions soigneusement préparées entre des particules de deux colloïdes différents permettent la formation de nouvelles structures. Plus précisément, ils ont trouvé un moyen d’obtenir des formations autoassemblées qui dépendent fortement des variations de température. Comme l’explique Giuseppe Foffi (qui maintenant est au Laboratoire de Physique des Solides, University of Paris-Sud): « En un sens, ces nouvelles structures ont une « mémoire » de leur historique de préparation. »

En utilisant des colloïdes enduits d’ADN, le groupe d’Erika Eiser a pu contrôler la progression de l’autoassemblage entre deux espèces colloïdales différentes. Des sphères de polystyrène fluorescent ont été recouvertes de différents brins d’ADN (d’où leur apparence « velue ») leur permettant de disposer de canaux d’interaction particulaire et d’identifier les deux espèces. Cette méthode présente comme avantage de pouvoir programmer les interactions entre les particules grâce à la compatibilité des séquences d’ADN. Autre atout majeur, la grande réceptivité des brins aux écarts de température importants, qui offre un haut degré de spécificité et de programmabilité. Les deux types de colloïdes ont ensuite été mixés dans un « mélange binaire » susceptible d’optimiser la rapidité d’assemblage, et donc de générer un « squelette » structurel sur lequel se greffer.

Grâce à la sélectivité d’appariement de l’ADN et aux simulations réalisées par l’équipe de l’EPFL, les scientifiques ont prouvé qu’ils pouvaient arriver à un contrôle inédit de la morphologie des colloïdes en interaction. Les données rassemblées par leur soin concernant la morphologie du système et la dynamique d’interaction particulaire montrent en outre que cette approche ne se limite pour une fois pas à des nano-objets, mais peut s’appliquer à diverses tailles de colloïdes. Les chercheurs prédisent un bel avenir à cette méthode sous la forme d’applications multiples, comme des peintures sensibles à la lumière ou des patchs intelligents capables de libérer des particules de médicaments (antibiotiques, antipyrétiques) en cas de modifications de la température corporelle ou du pH.