Des isotopes d'uranium racontent l'histoire des débuts de la Terre

Uranium non-soluble et soluble © Alain Herzog, 2015

Uranium non-soluble et soluble © Alain Herzog, 2015

Une nouvelle recherche montre que la composition isotopique de l'uranium offre un aperçu de l'activité microbienne sur Terre il y a des milliards d'années.

Les océans et autres étendues d'eau contiennent des milliards de tonnes d'uranium dissous. Au cours de l'histoire de la planète, une partie de cet uranium a été transformé sous une forme insoluble: soit par l'action d'organismes vivants – des bactéries –, ou en interagissant chimiquement avec certains minéraux. La possibilité de savoir lequel de ces processus a prévalu fournit un bon aperçu de l’évolution et de l’activité des microbes au cours de l’histoire de la Terre. Dans la revue PNAS, une équipe internationale de chercheurs dirigée par l'EPFL (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, Suisse), décrit une nouvelle méthode utilisant la composition isotopique de l'uranium pour distinguer les deux processus.

Le lien entre les bactéries et la roche n'est pas nouveau. Dans certaines conditions, les bactéries interagissent au niveau biochimique avec des ions dissous tels que le soufre, ou l'uranium. Ils les dissolvent et les font précipiter, ce qui contribue à leur accumulation dans les sédiments océaniques. Mais pour la première fois, des scientifiques ont pu déterminer si des bactéries étaient actives au moment et à l'endroit où les sédiments se sont formés, en analysant de minuscules quantités d'uranium présent dans les sédiments.

Des donneuses d'électrons exigeantes
Le fait que des bactéries et de l'uranium interagissent peut paraître en soi quelque peu surprenant. Mais comme l'explique Rizlan Bernier-Latmani, chercheuse principale de l'étude, pour accomplir certains processus métaboliques, les bactéries doivent se débarrasser d'électrons, et il se trouve que l'uranium dissous est justement capables de les récupérer. L'uranium est loin d'être le seul métal auquel les bactéries donnent des électrons supplémentaires. Mais une fois qu'il a précipité dans sa forme insoluble, l'uranium est le seul métal connu à ce jour qui conserve une empreinte, que les scientifiques peuvent analyser afin de détecter si des bactéries ont été impliquées dans sa transformation.

Ce qui rend l'uranium unique, c'est que les bactéries sont exigeantes quant au type d'uranium auquel elles donnent des électrons. Des deux isotopes les plus abondants présents sur Terre, – l'uranium-238 et l'uranium-235 – les bactéries semblent préférer l'uranium-238, plus lourd. Mais le processus de transformation chimique, par contraste, est le même pour les deux formes de l'uranium. Au final, un rapport plus élevé entre isotopes lourds et légers dans l'uranium solide extrait du sol porte la marque d'un processus de transformation bactérien.

L'évolution de la vie
Pouvoir faire la distinction entre les deux processus de transformation donne aux chercheurs un outil unique pour explorer des sites occupés par des bactéries il y a des milliards d'années. En appliquant leur méthodologie à des données existantes provenant de sédiments Archéen de l’Australie occidentale, les auteurs avancent que l'uranium découvert dans des sédiments pauvres en oxygène en cet endroit a été immobilisé biologiquement. Le bactéries, disent-ils, étaient actives à cet endroit il y a 2,5 milliards d'années, lorsque ces sédiments se sont formés.

Pour un biogéochimiste environnemental tel que Rizlan Bernier-Latmani, savoir si des bactéries étaient actives ou pas à tel moment et à tel endroit est passionnant, car cela pourrait fournir une vision nouvelle de l'évolution chimique de la planète, par exemple sur l'abondance d'oxygène libre dans les océans et l'atmosphère. «Nous avons une certaine compréhension de la manière dont les concentrations atmosphérique et océanique en oxygène ont changé au cours du temps sur la planète, et des preuves croissantes que qu’il y avait des traces d’oxygène il y a déjà des milliards d’années, sur un monde qui en était autrement dépourvu, et des bactéries qui en faisaient usage. Ces variations exercent une influence directe sur l'évolution de la vie et sur les extinctions de masse», dit-elle. Dans le puzzle complexe de l'histoire de la planète, l'uranium pourrait détenir quelques-unes des pièces manquantes.

La recherche a été menée en collaboration avec des chercheurs de l'Institut de Minéralogie de l'Université Leibniz à Hanovre, en Allemagne, et de la School of Earth and Space Exploration de l'Arizona State University, Arizona, Etats-Unis.


Auteur: Jan Overney

Source: EPFL