Des bulles au cœur et à la surface des plasmas

Plasma © Alain Herzog

Plasma © Alain Herzog

Dompter un bouillonnement à plusieurs centaines de millions de degrés, tel est le défi de la fusion nucléaire, la source d’énergie du futur. Le Centre de recherches en physique des plasmas (CRPP) publie coup sur coup deux articles qui font progresser la connaissance dans le domaine.

Maîtriser les plasmas permet d’ouvrir la voie vers la fusion nucléaire. Mais tout comme les étoiles, cette matière ultra chaude est en ébullition permanente, ce qui complique son contrôle dans un réacteur. Des instabilités forment des bulles de plasma qui éclatent et peuvent endommager les parois internes de l'installation. Les chercheurs travaillent à stabiliser les plasmas de leur cœur à leur surface. Deux équipes du CRPP viennent d’améliorer la compréhension de ces instabilités.

En surface

Les instabilités à la surface se manifestent sous forme de filaments. Les physiciens ont d’abord remarqué que des ondes, qui se propagent dans le plasma, sont à l’origine de ces structures. Ils ont ensuite déterminé leur dynamique pour finalement mesurer précisément leurs propriétés, notamment électrique. Pour y parvenir, ils ont utilisé des instruments qui fournissent 250'000 images par seconde. Ces mesures constituent une prouesse : les filaments de quelques centimètres se déplacent à la vitesse d'un à deux kilomètres à la seconde, ont près de 50’000°C et renferment l’énergie d’un camion de 10 tonnes lancé à 80 km/h. Les chercheurs ont malgré tout pu observer que les filaments transportent un courant propre. Ils ont ainsi confirmé la théorie émise par Christian Theiler dans le cadre de son doctorat au CRPP.

Grâce à cette découverte, il sera possible d’appliquer des courants électriques spécifiquement aux filaments. Ivo Furno, responsable de l’expérience, explique : « il est très difficile de prévenir leur formation, mais il sera peut-être possible de contrôler leur vitesse et leur trajectoire ». Une technique prometteuse, puisqu’il faut pouvoir agir sur le plasma sans contact direct, vu sa température. Ces progrès ont un impact très important sur la recherche, car les filaments apparaissent dans tous les plasmas de tokamaks, le nom scientifique de ce type d’installation, et leur maîtrise dans ITER constitue un gage de réussite du projet.

Au cœur

Les réacteurs comme le TCV de l’EPFL visent à maintenir un plasma au cœur très chaud – jusqu’à cent millions de degrés – le plus longtemps possible pour entretenir les réactions de fusion. Pour ce faire, les physiciens retiennent le plasma à l'aide de champs magnétiques. Malgré tout, des bulles plus chaudes se créent également au centre. Le risque est qu’elles se combinent entre elles et finissent par s’échapper vers la surface.

Pour la première fois, un groupe de chercheurs mené par Timothy Goodman a pu concentrer, à l’aide de miroirs ajustés en temps réel, un rayonnement équivalent à un millier de four micro-onde avec une précision de quelques millimètres. Grâce à cette méthode, ils ont pu prévenir la combinaison des bulles, sans perturber les réactions au cœur du plasma.

« Tels des chirurgiens, les physiciens doivent intervenir sur le plasma avec des méthodes le moins invasives possible pour garantir sa stabilité », ajoute Ambrogio Fasoli, responsable des deux équipes. Ces recherches concrétisent un nouveau pas vers la maîtrise de la fusion nucléaire. Des progrès qui arrivent précisément à l’heure où le nucléaire conventionnel est remis en cause et où la fusion doit démontrer tout son potentiel. « On ne peut plus se contenter d’observer. Il faut également contrôler les réactions », conclut le scientifique. La physique est en marche.

Liens :
http://crpp.epfl.ch/
http://crpp.epfl.ch/basicplasmas
http://crpp.epfl.ch/tcv

Sources :
Direct Two-Dimensional Measurements of the Field-Aligned Current Associated with Plasma Blobs, I. Furno, M. Spolaore, C. Theiler, N. Vianello, R. Cavazzana, and A. Fasoli, Physical Review Letters, vol. 106, 2011.
http://prl.aps.org/abstract/PRL/v106/i24/e245001

Sawtooth Pacing by Real-Time Auxiliary Power Control in a Tokamak Plasma, T. P. Goodman, F. Felici, O. Sauter, and J. P. Graves (the TCV Team), Physical Review Letters, vol. 106, 2011.
http://prl.aps.org/abstract/PRL/v106/i24/e245002


Auteur: Nicolas Guérin

Source: EPFL